lundi 30 juillet 2012

« VOYAGEUR CHÉRUBINIQUE »


Je me plonge seul dans la mer incréée de la pure divinité.

Je suis moi-même l’éternité quand j’abandonne le temps et que je résume moi-même en Dieu, et Dieu en moi.

Je suis aussi riche que Dieu. Homme, crois-moi, il n’y a pas un atome que je ne partage avec lui.

Celui qui ne désire rien, n’a rien, ne sait rien, n’aime rien, celui-là sait, désire, possède, aime toujours davantage.

Halte ! Où cours-tu ? Le ciel est en toi. Si tu cherches Dieu ailleurs, il te fera toujours défaut.

Celui qui est comme s’il n’était pas et comme s’il n’avait jamais été, celui-là – ô Béatitude ! – est vraiment devenu Dieu.

Je dois moi-même être soleil, je dois avec mes rayons peindre la mer sans couleur de toute la divinité.

Pourquoi te plaindre de Dieu ? C’est toi-même qui te damnes ; Dieu ne pourrait pas le faire, crois-moi, assurément.

Le ciel est en toi et aussi le tourment de l’enfer. Ce que tu veux et ce que tu choisis, tu l’auras partout.

Dieu n’est pas ici, ni là ; celui qui veut le trouver doit se laisser lier les mains, les pieds, le corps et l’âme.

Va là où tu ne peux aller, regarde là où tu ne vois pas, écoute ce qui ne retentit ni ne résonne. Tu es là où Dieu parle.

Dieu est ce qu’il est, je suis ce que je suis ; si tu connais bien l’un des deux, tu connais moi et lui.

Dieu s’aime et se loue lui-même, autant qu’il le peut ; il s’agenouille, il s’incline, il se prie lui-même.

Dieu est tellement au-dessus de tout ce qu’on peut dire que c’est en te taisant que tu le pries le mieux.

L’amour est la pierre philosophale, elle sépare l’or de la boue, elle fait du néant l’Éant.

Les créatures sont les voix du Verbe éternel ; il se joue et il se chante dans la grâce et la colère.

Ce que connaît le Chérubin ne peut me suffire. Je veux voler au-dessus de lui, là où rien ne peut être connu.

En Dieu on ne connaît rien. Il est un unique UN. Ce qu’on connaît en lui, il faut l’être soi-même.

La rose ne connaît pas de pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne s’inquiète pas d’elle-même, elle ne se demande pas si on la voit.

Homme, si le Paradis n’existe pas d’abord en toi, crois-moi, tu n’y entreras jamais.

Agir est bien, mais prier est mieux et mieux encore, s’avancer muet et calme, vers Dieu, Notre-Seigneur.

Ni créature ni Créateur ne peuvent t’enlever la quiétude. Toi seul te troubles, Folie, par le souci des choses.

Homme, deviens essentiel ; quand le monde disparaîtra, l’accident tombera, l’essence restera.

Homme, donne à Dieu ton coeur, il te donne le sien. Y a-t-il plus noble troc ? Tu t’élèves, il descend...

Meurs ou vis en Dieu, les deux sont bons ; car Dieu doit mourir et Dieu doit vivre aussi.

Homme, si tu veux exprimer l’essence de l’Éternité, il te faut d’abord renoncer au langage.

Chrétien, il n’est pas suffisant que je ne vive qu’en Dieu ; il faut aussi que je fasse monter en moi la sève de Dieu.

Je suis une montagne en Dieu et je dois m’escalader moi-même afin que Dieu me montre de loin son bien-aimé visage.

Si l’esprit de Dieu te touche de son essence, en toi naît l’enfant de l’Éternité.

Comment peux-tu désirer cela, toi qui peux être le ciel, et la terre, et mille anges ?

Quel est l’aspect de mon Dieu ? Va et regarde-toi. Celui qui se contemple en Dieu, contemple Dieu en vérité.

Dieu, qui jouit de lui-même, ne se rassasie jamais, car il trouve en lui seul la satiété.

Que te sert de te laver dans l’eau, si tu ne supprimes pas en toi le plaisir de barboter dans la boue ?

Par l’amour aller et venir, respirer l’amour, le proclamer, le chanter, c’est vivre la vie des séraphins.

Le ciel descend, il vient, le voilà terre ; quand donc la terre s’élèvera-t-elle, quand deviendra-t-elle ciel ?

Dieu m’aime, il est si inquiet de moi qu’il meurt d’angoisse, si je m’éloigne de lui.

Le royaume du ciel, la vie céleste sont faciles à conquérir ; assiège Dieu par l’amour, il faudra bien qu’il capitule.

Sois pauvre ; le Saint ne possède rien ici-bas, que ce qu’il possède contre son gré, le corps de la mortalité.

On ne peut trouver sur terre plus grande sainteté qu’un corps chaste avec une âme sans péché.

On dit qu’à Dieu rien ne manque, qu’il n’a pas besoin de nos dons. Est-ce vrai ? Pourquoi veut-il alors mon pauvre coeur ?

Hélas, hélas, défunt est l’amour. Comment est-il mort ? Le gel l’a tué quand nul n’y prenait garde.

Dieu est mon centre quand je l’enferme en moi, et ma circonférence quand mon amour me dissout en lui.

L’amour de ce monde finit dans l’affliction, aussi mon coeur n’aime-t-il que l’éternelle beauté.

L’âme a deux yeux : l’un regarde le temps, l’autre se lève vers l’éternité.

Ici-bas je coule encore en Dieu comme un ruisseau du temps, mais, là-haut, je suis moi-même la mer de la béatitude éternelle.

Si tu conduis ta petite barque sur l’océan de la Divinité, bien heureux seras-tu si tu peux t’y noyer.

Dieu n’apprécie point le bien que tu fais, mais la façon dont tu le fais, il ne regarde pas le fruit mais seulement le noyau et la racine.

Le sage, quand il meurt, ne demande pas le ciel ; il y est déjà, avant que son coeur ne se brise.

Homme, c’est en cela que tu aimes que tu seras transformé ; tu seras Dieu si tu aimes Dieu, terre si tu aimes la terre.

Le chemin le plus court vers Dieu est par la porte de l’amour ; la voie de la science t’y conduit trop lentement.

Dans la volonté tu te perds, en elle tu te retrouves ; la volonté qui te libère te lie et t’enchaîne.

Avoir beaucoup ne rend pas riche. Celui-là est un homme riche qui peut perdre sans souffrance tout ce qu’il a.

Quand le Christ serait né mille fois à Bethléem, s’il ne naît pas en toi, tu es perdu pour l’éternité.

Angelius Silesius, Fragments ( alias Johann Scheffler, né à Breslau, en 1624)

vendredi 27 juillet 2012

Si pour un instant

Si, pour un instant Dieu oubliait que je suis juste une marionnette,et me donnait une petite tranche de vie en plus, je voudrais profiter de ce moment-là, du mieux que je peux.
Je ne pourrais probablement pas dire tout ce que je pense, mais je pense vraiment tout ce que je dis.
Je voudrais apprécier les choses non pas pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je voudrais dormir moins et rêver plus.
Pour chaque minute où nous fermons les yeux nous perdons soixante secondes de lumière.
Je voudrais continuer là où d'autres se sont arrêtés et je voudrais me lever alors que les autres dorment.

Si Dieu m’accorde encore un bout de vie, je m'habillerais plus simplement, j’irais me baigner dans la lumière du soleil, laissant à découvert, non seulement mon corps mais aussi mon âme.

Je voudrais prouver aux Hommes combien ils se trompent de penser qu'ils cessent de tomber amoureux quand ils vieillissent, alors qu’ils commencent réellement à vieillir dès qu'ils cessent de tomber amoureux 

Je voudrais donner des ailes aux enfants, mais je voudrais laisser l'enfant apprendre à voler tout seul.

Aux anciens, je voudrais leur montrer que la mort ne vient pas avec le processus de vieillissement, mais avec l'oubli.

J'ai appris tant de choses de vous...

J'ai appris que tout le monde veut vivre au sommet de la montagne, oubliant que tout ce qui compte c'est comment nous montons.

J'ai appris que quand un nouveau-né saisit le pouce de son père, il le prend pour toujours.

J'ai appris qu'un homme a le droit de regarder quelqu'un de haut, seulement quand il est en train de l'aider à se relever.
J'ai appris tant de choses de vous tous.

Dites toujours ce que vous ressentez et faites ce que vous pensez.
Si je savais qu'aujourd'hui c’était la dernière fois que j’allais vous voir, je vous serrerais fort dans mes bras pour être le gardien de votre âme.

Si je savais que c’étaient les dernières minutes que je vous voyais, je vous dirais "Je vous aime" sans supposer que vous le saviez.
Il y a toujours un matin où la vie nous donne une autre occasion de faire en sorte que les choses soient bonnes.
 Gardez toujours près de vous, vos êtres chers, et dites leur combien vous en avez besoin, aimez-les et prenez soin d'eux. 
Prenez le temps de dire: «Je suis désolé", "Pardonnez-moi", "s'il vous plaît», «Merci» et tous les mots agréables et gentils que vous connaissez.

Personne ne se souviendra de vous, si vous gardez vos pensées secrètes.
Forcez-vous à les exprimer.
Montrez à vos amis et êtres chers combien vous vous souciez d'eux."

Pensées attribuées à : 

GABRIEL GARCIA MARQUEZ

mercredi 25 juillet 2012

L'étoile a pleuré rose...


L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Rimbaud

mardi 24 juillet 2012

Agnus Dei

L'agneau cherche l'amère bruyère,
C'est le sel et non le sucre qu'il préfère,
Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière.

Quand il veut un but, rien ne l'arrête,
Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète...

Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.

Donne-nous la paix et non la guerre,
Ô l'agneau terrible en ta juste colère.
Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.

Paul Verlaine

jeudi 12 juillet 2012

Ces gens-là

D'abord d'abord y a l'aîné
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie

Et puis y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas - on triche


Et puis y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui regarde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands chloups
Et ça fait des grands chloups
Et puis y a la toute vieille
Qui en finit pas de vibrer
Et qu'on attend qu'elle crève
Vu que c'est elle qui a l'oseille
Et qu'on n'écoute même pas
Ce que ces pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne cause pas Monsieur
On ne cause pas - on compte

Et puis et puis
Et puis y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A écorcher les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.

Jacques Brel

mardi 10 juillet 2012

Poème

Le poème du jour revient de vacances les poches pleines de poèmes. Jusque vendredi! Ensuite il sera reparti.
Bon été à tous!


Je pense qu’en ce moment
personne peut-être ne pense à moi dans l’univers,
que moi seul je me pense,
et si maintenant je mourais,
personne ni moi ne me penserait.

Et ici commence l’abîme,
comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre soutien et me l’ôte.

Je contribue à tapisser d’absence toute chose.
C’est pour cela peut-être
que penser à un homme
revient à le sauver.

Roberto Juarroz – Poème (1958)