mardi 30 octobre 2012

La pipistrelle

Scintillez, Scintillez,
petite pipistrelle
Qui doucement venez nous frôler de votre aile !
Dans le crépuscule où, sans bruit, vous voletez,
Scintillez, Scintillez,
comme un plateau à thé !…

Lewis Carroll: le chapelier fou dans Alice au pays des Merveilles

lundi 29 octobre 2012

Ici-bas pas de consolation



Personne ne sera ma bordure de chemin.
Laisse seulement tes fleurs se faner.
Mon chemin coule et va tout seul.

Deux mains sont une trop petite coupe.
Un coeur est une trop petite colline
pour y reposer.

Oh, toi, je vis toujours sur la plage
et sous l'avalanche des fleurs de la mer;
l'Égypte s'étale devant mon coeur,
l'Asie pointe peu à peu.

L'un de mes bras est toujours dans le brasier.
Cendre est mon sang. Passant devant
poitrine et ossements
je sanglote toujours mon désir d'îles tyrrhéniennes

Une vallée apparaît et des peupliers blancs
un Ilyssos aux rives de prairies,
l'Éden, Adam et une terre
de nihilisme et de musique.

Gottfried Benn – (Hier ist kein Trost, 1913)
source ici

jeudi 11 octobre 2012

La chanson des ingénues



Nous sommes les Ingénues
Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu'on lit peu.
Nous allons entrelacées,
Et le jour n'est pas plus pur
Que le fond de nos pensées,
Et nos rêves sont d'azur ;
Et nous courons par les prés
Et rions et babillons
Des aubes jusqu'aux vesprées,
Et chassons aux papillons ;
Et des chapeaux de bergères
Défendent notre fraîcheur
Et nos robes - si légères -
Sont d'une extrême blancheur ;
Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les oeillades,
Les saluts et les "hélas !"
Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons détournés ;
Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions
Battre nos coeurs sous nos mantes
À des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins.

Verlaine

mercredi 10 octobre 2012

poème


Nos défaites ne prouvent rien

Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
Ah ! Mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.

Bertolt Brecht

mardi 9 octobre 2012

Hymne à l'amitié


On ne sait pas ce que ce que c'est que l'amitié.
On n'a dit que des sottises là-dessus. Quand je suis seul, je n'atteins jamais à la certitude où je suis maintenant. Je crains la mort. Tout mon courage contre le monde n'aboutit qu'à un défi.
Mais, en ce moment je suis tranquille.
Nous deux, comme nous sommes là, en bécane, sur cette route, avec ce soleil, avec cette âme, voilà qui justifie tout, qui me console de tout.
N'y aurait-il que cela dans ma vie, que je ne la jugerais ni sans but, ni même périssable.
Et n'y aurait-il que cela, à cette heure dans le monde, que je ne jugerais le monde ni sans bonté, ni sans Dieu.
Lorsqu'un fils de l'homme connait un seul jour cette plénitude, il n'a rien à dire contre son destin.
Jules Romains (extrait de Les copains)

lundi 8 octobre 2012

LE JUGEMENT ORIGINEL (extrait)

Forme tes yeux en les fermant.

Donne aux rêves que tu as oubliés
la valeur de ce que tu ne connais pas.

J'ai connu trois lampistes,
cinq garde-barrières femmes,
un garde-barrière homme.
Et toi?

Ne prépare pas
les mots que tu cries.

Habite les maisons abandonnées.
Elles n'ont été habitées que par toi.

Fais
un lit de caresses
à tes caresses.

S'ils frappent
à ta porte,
écris
tes dernières volontés
avec la clé.

Règle ta marche sur les orages

VOle
le sens
au sOn,
il y a des tambours voilés
jusque dans les robes claires.

PARLE SELON LA FOLIE QUI T'A SÉDUIT.

Fais-leur la surprise de ne pas confondre
le futur du verbe avoir avec le passé du verbe être.

Couche-toi,
lève-toi
et maintenant couche-toi.

Aie l'âge de ce vieux corbeau qui dit: VINGT ANS

CoRRige Tes parentS

Veux-tu avoir à la fois le plus petit et le plus inquiétant livre du monde?
Fais relier les timbres de tes lettres d'amour et pleure,
il y a malgré tout de quoi.

Ta liberté
avec laquelle
tu me fais rire
aux larmes
est TA LIBERTÉ

Tu prends la troisième rue à droite,
puis la première à gauche,
tu arrives sur une place,
tu tournes près du café que tu sais,
tu prends la première rue à gauche,
puis la troisième rue à droite,
tu jettes ta statue par terre et tu restes.

Fais-moi le plaisir
d'entrer et de sortir
sur la pointe
des pieds.


Ne garde pas sur toi ce qui ne blesse pas le bon sens


Paul Éluard
L'Immaculée conception, 1930

mardi 2 octobre 2012

C'est trop facile

C'est trop facile d'entrer aux églises
De déverser toute sa saleté
Face au curé qui dans la lumière grise
Ferme les yeux pour mieux nous pardonner

Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu du Bon Dieu
Un cantique, une image
Tu n'en connais rien de mieux

C'est trop facile quand les guerres sont finies
D'aller gueuler que c'était la dernière
Ami bourgeois vous me faites envie
Vous ne voyez donc point vos cimetières?

Tais-toi donc grand Jacques
Laisse-les donc crier
Laisse-les pleurer de joie
Toi qui ne fus même pas soldat

C'est trop facile quand un amour se meurt
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité

Tais-toi donc grand Jacques
Que connais-tu de l'amour
Des yeux bleus, des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout

Et dis-toi donc grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C'est trop facile,
C'est trop facile,
De faire semblant.

Jacques Brel