La Sagesse est resplendissante, elle est inaltérable. Elle se laisse aisément contempler par ceux qui l'aiment, elle se laisse trouver par ceux qui la cherchent. Elle devance leurs désirs en se montrant à eux la première. Celui qui la cherche dès l'aurore ne se fatiguera pas : il la trouvera assise à sa porte. Ne plus penser qu'à elle prouve un parfait jugement, et celui qui veille en son honneur sera bientôt délivré du souci. Elle va et vient pour rechercher ceux qui sont dignes d'elle ; au détour des sentiers elle leur apparaît avec un visage souriant ; chaque fois qu'ils pensent à elle, elle vient à leur rencontre.
Livre de la Sagesse, (VI 12-16)
Le Poème du Jour vous livre chaque matin un poème tout frais dans votre boîte mail. Il suffit d'indiquer votre adresse...
mardi 4 décembre 2012
samedi 1 décembre 2012
LA VIEILLE ANGLAISE
La vieille Anglaise est triste
Elle a perdu au casino
Pour elle, plus rien n’existe
Fallait pas jouer le zéro
Les fiacres avec leurs coussins blancs
Passent près d’elle lentement
Mais elle n’a plus d’argent
La vieille Anglaise est lasse
Elle rentre à pied à son hôtel
Là-bas, la chance passe
On continue sans elle
Dans la chambre bleue, parmi les broderies
La vieille Anglaise s’ennuie
Elle songe à son pays
A ses gazons fleuris
Qu’elle a quittés jadis
Pour lui qu’elle aimait trop
Pour lui qui l’aimait moins
Moins que le casino
Et qui a tant gagné en jouant sur le zéro
Et puis qui l’a laissée
Seule, à Monte-Carlo
La vieille Anglaise est triste
Elle va chercher dans un tiroir
Sous les chemises de batiste
Un petit revolver noir
Maintenant, elle n’a plus qu’une idée
Ce revolver, il faut aller
Le mettre au mont-de-piété
La vieille Anglaise est folle
Elle est retournée au casino
Sans dire une parole
Elle a joué le zéro
La roue est partie
Elle tourne comme la vie
La vieille Anglaise sourit
Elle songe à son pays
A ses gazons fleuris
Qu’elle reverra bientôt
Dès qu’elle aura gagné
L’argent pour le bateau
Si le sort veut l’aider
Le zéro est sorti
Elle a tout emporté
Mais près de la sortie
On l’a vue s’écrouler
La vieille Anglaise est morte
Goodbye, bonsoir et rien ne va plus
Là-bas derrière les portes
La partie
Continue
Francis Blanche
jeudi 29 novembre 2012
Lettre d'amour
Pas facile de formuler ce que tu as changé pour moi.
Si je suis en vie maintenant, j'étais alors morte,
Bien que, comme une pierre, sans que cela ne m'inquiète,
Et je restais là sans bouger selon mon habitude.
Tu ne m'as pas simplement une peu poussée du pied, non-
Ni même laissé régler mon petit oeil nu
A nouveau vers le ciel, sans espoir, évidemment,
De pouvoir appréhender le bleu, ou les étoiles.
Ce n'était pas çà. Je dormais, disons : un serpent
Masqué parmi les roches noires telle une roche noire
Se trouvant au milieu du hiatus blanc de l'hiver -
Tout comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir
A ce million de joues parfaitement ciselées
Qui se posaient à tout moment afin d'attendrir
Ma joue de basalte. Et elles se transformaient en larmes,
Anges versant des pleurs sur des natures sans relief,
Mais je n'étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.
Chaque tête morte avait une visière de glace.
Et je continuais de dormir, repliée sur moi-même.
La première chose que j'ai vue n'était que de l'air
Et ces gouttes prisonnières qui montaient en rosée,
Limpides comme des esprits. Il y avait alentour
Beaucoup de pierres compactes et sans aucune expression.
Je ne savais pas du tout quoi penser de cela.
Je brillais, recouverte d'écailles de mica,
Me déroulais pour me déverser tel un fluide
Parmi les pattes d'oiseaux et les tiges des plantes.
Je ne m’y suis pas trompée. Je t'ai reconnu aussitôt.
L'arbre et la pierre scintillaient, ils n'avaient plus d'ombres.
Je me suis déployée, étincelante comme du verre.
J'ai commencé de bourgeonner tel un rameau de mars :
Un bras et puis une jambe, un bras et encore une jambe.
De la pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l'air, mon âme pour vêtement,
Aussi pure qu'un pain de glace. C'est un don.
"Lettre d'amour" de Sylvia Plath
in "Arbres d'hiver" précédé de "la Traversée"
Traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau
Poésie Gallimard- 1999
Si je suis en vie maintenant, j'étais alors morte,
Bien que, comme une pierre, sans que cela ne m'inquiète,
Et je restais là sans bouger selon mon habitude.
Tu ne m'as pas simplement une peu poussée du pied, non-
Ni même laissé régler mon petit oeil nu
A nouveau vers le ciel, sans espoir, évidemment,
De pouvoir appréhender le bleu, ou les étoiles.
Ce n'était pas çà. Je dormais, disons : un serpent
Masqué parmi les roches noires telle une roche noire
Se trouvant au milieu du hiatus blanc de l'hiver -
Tout comme mes voisines, ne prenant aucun plaisir
A ce million de joues parfaitement ciselées
Qui se posaient à tout moment afin d'attendrir
Ma joue de basalte. Et elles se transformaient en larmes,
Anges versant des pleurs sur des natures sans relief,
Mais je n'étais pas convaincue. Ces larmes gelaient.
Chaque tête morte avait une visière de glace.
Et je continuais de dormir, repliée sur moi-même.
La première chose que j'ai vue n'était que de l'air
Et ces gouttes prisonnières qui montaient en rosée,
Limpides comme des esprits. Il y avait alentour
Beaucoup de pierres compactes et sans aucune expression.
Je ne savais pas du tout quoi penser de cela.
Je brillais, recouverte d'écailles de mica,
Me déroulais pour me déverser tel un fluide
Parmi les pattes d'oiseaux et les tiges des plantes.
Je ne m’y suis pas trompée. Je t'ai reconnu aussitôt.
L'arbre et la pierre scintillaient, ils n'avaient plus d'ombres.
Je me suis déployée, étincelante comme du verre.
J'ai commencé de bourgeonner tel un rameau de mars :
Un bras et puis une jambe, un bras et encore une jambe.
De la pierre au nuage, ainsi je me suis élevée.
Maintenant je ressemble à une sorte de dieu
Je flotte à travers l'air, mon âme pour vêtement,
Aussi pure qu'un pain de glace. C'est un don.
"Lettre d'amour" de Sylvia Plath
in "Arbres d'hiver" précédé de "la Traversée"
Traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau
Poésie Gallimard- 1999
mardi 30 octobre 2012
La pipistrelle
Scintillez, Scintillez,
petite pipistrelle
Qui doucement venez nous frôler de votre aile !
Dans le crépuscule où, sans bruit, vous voletez,
Scintillez, Scintillez,
comme un plateau à thé !…
Lewis Carroll: le chapelier fou dans Alice au pays des Merveilles
lundi 29 octobre 2012
Ici-bas pas de consolation
Personne ne sera ma bordure de chemin.
Laisse seulement tes fleurs se faner.
Mon chemin coule et va tout seul.
Deux mains sont une trop petite coupe.
Un coeur est une trop petite colline
pour y reposer.
Oh, toi, je vis toujours sur la plage
et sous l'avalanche des fleurs de la mer;
l'Égypte s'étale devant mon coeur,
l'Asie pointe peu à peu.
L'un de mes bras est toujours dans le brasier.
Cendre est mon sang. Passant devant
poitrine et ossements
je sanglote toujours mon désir d'îles tyrrhéniennes
Une vallée apparaît et des peupliers blancs
un Ilyssos aux rives de prairies,
l'Éden, Adam et une terre
de nihilisme et de musique.
Gottfried Benn – (Hier ist kein Trost, 1913)
source ici
jeudi 11 octobre 2012
La chanson des ingénues
- Nous sommes les Ingénues
- Aux bandeaux plats, à l'oeil bleu,
- Qui vivons, presque inconnues,
- Dans les romans qu'on lit peu.
- Nous allons entrelacées,
- Et le jour n'est pas plus pur
- Que le fond de nos pensées,
- Et nos rêves sont d'azur ;
- Et nous courons par les prés
- Et rions et babillons
- Des aubes jusqu'aux vesprées,
- Et chassons aux papillons ;
- Et des chapeaux de bergères
- Défendent notre fraîcheur
- Et nos robes - si légères -
- Sont d'une extrême blancheur ;
- Les Richelieux, les Caussades
- Et les chevaliers Faublas
- Nous prodiguent les oeillades,
- Les saluts et les "hélas !"
- Mais en vain, et leurs mimiques
- Se viennent casser le nez
- Devant les plis ironiques
- De nos jupons détournés ;
- Et notre candeur se raille
- Des imaginations
- De ces raseurs de muraille,
- Bien que parfois nous sentions
- Battre nos coeurs sous nos mantes
- À des pensers clandestins,
- En nous sachant les amantes
- Futures des libertins.
- Verlaine
mercredi 10 octobre 2012
poème
Nos défaites ne prouvent rien
Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
Qui vivent en sécurité.
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
Ah ! Mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
Bertolt Brecht
mardi 9 octobre 2012
Hymne à l'amitié
On ne sait pas ce que ce que c'est que l'amitié.
On n'a dit que des sottises là-dessus. Quand je suis seul, je n'atteins jamais à la certitude où je suis maintenant. Je crains la mort. Tout mon courage contre le monde n'aboutit qu'à un défi.
Mais, en ce moment je suis tranquille.
Nous deux, comme nous sommes là, en bécane, sur cette route, avec ce soleil, avec cette âme, voilà qui justifie tout, qui me console de tout.
N'y aurait-il que cela dans ma vie, que je ne la jugerais ni sans but, ni même périssable.
Et n'y aurait-il que cela, à cette heure dans le monde, que je ne jugerais le monde ni sans bonté, ni sans Dieu.
Lorsqu'un fils de l'homme connait un seul jour cette plénitude, il n'a rien à dire contre son destin.
On n'a dit que des sottises là-dessus. Quand je suis seul, je n'atteins jamais à la certitude où je suis maintenant. Je crains la mort. Tout mon courage contre le monde n'aboutit qu'à un défi.
Mais, en ce moment je suis tranquille.
Nous deux, comme nous sommes là, en bécane, sur cette route, avec ce soleil, avec cette âme, voilà qui justifie tout, qui me console de tout.
N'y aurait-il que cela dans ma vie, que je ne la jugerais ni sans but, ni même périssable.
Et n'y aurait-il que cela, à cette heure dans le monde, que je ne jugerais le monde ni sans bonté, ni sans Dieu.
Lorsqu'un fils de l'homme connait un seul jour cette plénitude, il n'a rien à dire contre son destin.
Jules Romains (extrait de Les copains)
lundi 8 octobre 2012
LE JUGEMENT ORIGINEL (extrait)
Forme tes yeux en les fermant.
Donne aux rêves que tu as oubliés
la valeur de ce que tu ne connais pas.
J'ai connu trois lampistes,
cinq garde-barrières femmes,
un garde-barrière homme.
Et toi?
Ne prépare pas
les mots que tu cries.
Habite les maisons abandonnées.
Elles n'ont été habitées que par toi.
Fais
un lit de caresses
à tes caresses.
S'ils frappent
à ta porte,
écris
tes dernières volontés
avec la clé.
Règle ta marche sur les orages
VOle
le sens
au sOn,
il y a des tambours voilés
jusque dans les robes claires.
PARLE SELON LA FOLIE QUI T'A SÉDUIT.
Fais-leur la surprise de ne pas confondre
le futur du verbe avoir avec le passé du verbe être.
Couche-toi,
lève-toi
et maintenant couche-toi.
Aie l'âge de ce vieux corbeau qui dit: VINGT ANS
CoRRige Tes parentS
Veux-tu avoir à la fois le plus petit et le plus inquiétant livre du monde?
Fais relier les timbres de tes lettres d'amour et pleure,
il y a malgré tout de quoi.
Ta liberté
avec laquelle
tu me fais rire
aux larmes
est TA LIBERTÉ
Tu prends la troisième rue à droite,
puis la première à gauche,
tu arrives sur une place,
tu tournes près du café que tu sais,
tu prends la première rue à gauche,
puis la troisième rue à droite,
tu jettes ta statue par terre et tu restes.
Fais-moi le plaisir
d'entrer et de sortir
sur la pointe
des pieds.
Ne garde pas sur toi ce qui ne blesse pas le bon sens
Paul Éluard
L'Immaculée conception, 1930
Donne aux rêves que tu as oubliés
la valeur de ce que tu ne connais pas.
J'ai connu trois lampistes,
cinq garde-barrières femmes,
un garde-barrière homme.
Et toi?
Ne prépare pas
les mots que tu cries.
Habite les maisons abandonnées.
Elles n'ont été habitées que par toi.
Fais
un lit de caresses
à tes caresses.
S'ils frappent
à ta porte,
écris
tes dernières volontés
avec la clé.
Règle ta marche sur les orages
VOle
le sens
au sOn,
il y a des tambours voilés
jusque dans les robes claires.
PARLE SELON LA FOLIE QUI T'A SÉDUIT.
Fais-leur la surprise de ne pas confondre
le futur du verbe avoir avec le passé du verbe être.
Couche-toi,
lève-toi
et maintenant couche-toi.
Aie l'âge de ce vieux corbeau qui dit: VINGT ANS
CoRRige Tes parentS
Veux-tu avoir à la fois le plus petit et le plus inquiétant livre du monde?
Fais relier les timbres de tes lettres d'amour et pleure,
il y a malgré tout de quoi.
Ta liberté
avec laquelle
tu me fais rire
aux larmes
est TA LIBERTÉ
Tu prends la troisième rue à droite,
puis la première à gauche,
tu arrives sur une place,
tu tournes près du café que tu sais,
tu prends la première rue à gauche,
puis la troisième rue à droite,
tu jettes ta statue par terre et tu restes.
Fais-moi le plaisir
d'entrer et de sortir
sur la pointe
des pieds.
Ne garde pas sur toi ce qui ne blesse pas le bon sens
Paul Éluard
L'Immaculée conception, 1930
mardi 2 octobre 2012
C'est trop facile
C'est trop facile d'entrer aux églises
De déverser toute sa saleté
Face au curé qui dans la lumière grise
Ferme les yeux pour mieux nous pardonner
Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu du Bon Dieu
Un cantique, une image
Tu n'en connais rien de mieux
C'est trop facile quand les guerres sont finies
D'aller gueuler que c'était la dernière
Ami bourgeois vous me faites envie
Vous ne voyez donc point vos cimetières?
Tais-toi donc grand Jacques
Laisse-les donc crier
Laisse-les pleurer de joie
Toi qui ne fus même pas soldat
C'est trop facile quand un amour se meurt
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité
Tais-toi donc grand Jacques
Que connais-tu de l'amour
Des yeux bleus, des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout
Et dis-toi donc grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C'est trop facile,
C'est trop facile,
De faire semblant.
De déverser toute sa saleté
Face au curé qui dans la lumière grise
Ferme les yeux pour mieux nous pardonner
Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu du Bon Dieu
Un cantique, une image
Tu n'en connais rien de mieux
C'est trop facile quand les guerres sont finies
D'aller gueuler que c'était la dernière
Ami bourgeois vous me faites envie
Vous ne voyez donc point vos cimetières?
Tais-toi donc grand Jacques
Laisse-les donc crier
Laisse-les pleurer de joie
Toi qui ne fus même pas soldat
C'est trop facile quand un amour se meurt
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité
Tais-toi donc grand Jacques
Que connais-tu de l'amour
Des yeux bleus, des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout
Et dis-toi donc grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C'est trop facile,
C'est trop facile,
De faire semblant.
Jacques Brel
mercredi 26 septembre 2012
Aube
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. À la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Rimbaud, Illuminations
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. À la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois.
Au réveil il était midi.
Rimbaud, Illuminations
dimanche 16 septembre 2012
Love
L’amour est aussi cru que la viande fraîche, aussi
têtu qu’un scarabée sur la piste d’une crotte.
C’est ce chien celte qui en rêve dévora sa propre queue.
Il nous choisit comme un blizzard choisit une montagne.
Sept coups frappés à la porte et tu pries pour ne pas
ouvrir.
Le garçon suivit la fille jusqu’à l’école en mangeant
son cœur à chaque pas. Il souhaitait danser
avec elle au bord d’un lac, le vent exhibant l’envers
argenté des feuilles. Le bouquet mouillé de violettes
sauvages qu’il cueillit,
elle le pressait contre son cou.
Elle portait le soleil comme une seconde peau
mais en dessous son sang était noir comme terre.
Sur la tombe de son chien en forêt
Elle demanda au garçon de s’en aller pour toujours.
*
Love is
raw as freshly cut meat,
mean as
a beetle on the track of dung.
It is
the Celtic dog that ate its tail in a dream.
It
chooses us as a blizzard chooses a mountain.
It’s
seven knocks on the door you pray not to answer.
The boy
followed the girl to school eating his heart
with
each step. He wished to dance with her
beside a
lake, the wind showing the leaves’
silvery
undersides. She held the moist bouquet
of wild
violets he picked against her neck.
She wore
the sun like her skin
but
beneath her blood was black as soil.
At the
grave of her dog in the woods
she told
him to please go away forever.
***
Jim Harrison (né en 1937)
jeudi 13 septembre 2012
Hôtels
La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois
Le patron doute
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton
Payera-t-on
Je tourne en route
Comme un toton
Le bruit des fiacres
Mon voisin laid
Qui fume un âcre
Tabac anglais
Mon voisin laid
Qui fume un âcre
Tabac anglais
Ô La Vallière
Qui boite et rit
De mes prières
Table de nuit
Qui boite et rit
De mes prières
Table de nuit
Et tous ensemble
Dans cet hôtel
Savons la langue
Comme à Babel
Dans cet hôtel
Savons la langue
Comme à Babel
Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour
Guillaume Apollinaire
lundi 10 septembre 2012
Le terme épars
Si tu cries, le monde se tait: il s'éloigne avec ton propre monde.
Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée.
Qui convertit l'aiguillon en fleur arrondit l'éclair.
La foudre n'a qu'une maison, elle a plusieurs sentiers. Maison qui s'exhausse, sentiers sans miettes.
Petite pluie réjouit le feuillage et passe sans se nommer. Nous pourrions être des chiens commandés par des serpents, ou taire ce que nous sommes.
Le soir se libère du marteau, l'homme reste enchaîné à son coeur.
L'oiseau sous terre chante le deuil sur la terre.
Vous seules, folles feuilles, remplissez votre vie.
Un brin d'allumette suffit à enflammer la plage où vient mourir un livre. L'arbre de plein vent est solitaire. L'étreinte du vent l'est plus encore.
Comme l'incurieuse vérité serait exsangue s'il n'y avait pas ce brisant de rougeur au loin où ne sont point gravés le doute et le dit du présent. Nous avançons, abandonnant toute parole en nous le promettant.
René Char: Le Nu perdu et autres poèmes 1964-1975
vendredi 7 septembre 2012
Chanson à part
Que fais-tu ? De tout.
Que vaux-tu ? Ne sais,
Présages, essais,
Puissance et dégoût…
Que vaux-tu ? Ne sais…
Que veux-tu ? Rien, mais tout.
Que sais-tu ? L’ennui.
Que peux-tu ? Songer.
Songer pour changer
Chaque jour en nuit.
Que sais-tu ? Songer
Pour changer d’ennui.
Que veux-tu ? Mon bien.
Que dois-tu ? Savoir,
Prévoir et pouvoir
Qui ne sert de rien.
Que crains-tu ? Vouloir.
Qui es-tu ? Mais rien !
Où vas-tu ? À mort.
Qu’y faire ? Finir,
Ne plus revenir
Au coquin de sort.
Où vas-tu ? Finir.
Que faire ? Le mort.
***
Paul Valéry (1871-1945)
Source dans ce magnifique site: http://schabrieres.wordpress.com/
jeudi 6 septembre 2012
Le rendez-vous
Forêt profonde...
Il fait si sombre...
J'entends quelqu'un avec moi qui marmotte
et qui fait des gestes,
Quelle est cette ombre?
La pluie qui tombe.
Le vieillard marche tout noir entre les arbres
gigantesques.
L'oiseau s'est tû.
J'ai trop vécu.
C'est la nuit et non plus le jour.
Fille du ciel
La tourterelle
Chante le désespoir et l'amour.
La mer d'Irlande,
Brocéliande,
J'ai quitté la vague et la grève.
La plainte lourde,
La cloche sourde,
Tout cela n'est plus qu'un rêve.
Bois ténébreux,
Temple de Dieu,
Que j'aime votre silence!
Mais c'est plus beau
Quand de nouveau
S'élève ce soupir immense!
Au fond du monde
La foudre gronde,
Tout est menace et mystère.
Mais plein de goût
Du rendez-vous,
Je marche vers le tonnerre!
Il fait si sombre...
J'entends quelqu'un avec moi qui marmotte
et qui fait des gestes,
Quelle est cette ombre?
La pluie qui tombe.
Le vieillard marche tout noir entre les arbres
gigantesques.
L'oiseau s'est tû.
J'ai trop vécu.
C'est la nuit et non plus le jour.
Fille du ciel
La tourterelle
Chante le désespoir et l'amour.
La mer d'Irlande,
Brocéliande,
J'ai quitté la vague et la grève.
La plainte lourde,
La cloche sourde,
Tout cela n'est plus qu'un rêve.
Bois ténébreux,
Temple de Dieu,
Que j'aime votre silence!
Mais c'est plus beau
Quand de nouveau
S'élève ce soupir immense!
Au fond du monde
La foudre gronde,
Tout est menace et mystère.
Mais plein de goût
Du rendez-vous,
Je marche vers le tonnerre!
Paul Claudel
mercredi 5 septembre 2012
Celle de toujours, toute
Si je vous dis : j'ai tout abandonné
C'est qu'elle n'est pas celle de mon corps,
Je ne m'en suis jamais vanté,
Ce n'est pas vrai
Et la brume de fond où je me meus
Ne sait jamais si j'ai passé.
L'éventail de sa bouche, le reflet de ses yeux,
Je suis le seul à en parler,
je suis le seul qui soit concerné
Par ce miroir si nul où l'air circule à travers moi
Et l'air a un visage aimant, ton visage,
A toi qui n'as pas de nom et que les autres ignorent,
La mer te dit : sur moi, le ciel te dit : sur moi,
Les astres te devinent, les nuages t'imaginent
Et le sang de la générosité
Te porte avec délices.
Je chante la grande joie de te chanter,
La grande joie de t'avoir ou de ne pas t'avoir,
La candeur de t'attendre, l'innocence de te connaitre,
O toi qui supprimes l'oubli, l'espoir et l'ignorance,
Qui supprimes l'absence et qui me mets au monde,
Je chante pour chanter, je t'aime pour chanter
Le mystère où l'amour me crée et se délivre.
Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même.
Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
C'est qu'elle n'est pas celle de mon corps,
Je ne m'en suis jamais vanté,
Ce n'est pas vrai
Et la brume de fond où je me meus
Ne sait jamais si j'ai passé.
L'éventail de sa bouche, le reflet de ses yeux,
Je suis le seul à en parler,
je suis le seul qui soit concerné
Par ce miroir si nul où l'air circule à travers moi
Et l'air a un visage aimant, ton visage,
A toi qui n'as pas de nom et que les autres ignorent,
La mer te dit : sur moi, le ciel te dit : sur moi,
Les astres te devinent, les nuages t'imaginent
Et le sang de la générosité
Te porte avec délices.
Je chante la grande joie de te chanter,
La grande joie de t'avoir ou de ne pas t'avoir,
La candeur de t'attendre, l'innocence de te connaitre,
O toi qui supprimes l'oubli, l'espoir et l'ignorance,
Qui supprimes l'absence et qui me mets au monde,
Je chante pour chanter, je t'aime pour chanter
Le mystère où l'amour me crée et se délivre.
Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même.
Eugène Emile Paul Grindel, dit Paul Eluard
jeudi 30 août 2012
Echoes of voices in the high Towers
Echoes of voices in the high towers
All wounds explained
Here all knives bandaged
All empires arrested
All castles unbuilt
All hearts unbroken
All our splendid monuments
Lipstick traces on a cigarette
The light comes up on only land
Forest here once
Forest here again
Robert Montgomery 2012
source ici
All wounds explained
Here all knives bandaged
All empires arrested
All castles unbuilt
All hearts unbroken
All our splendid monuments
Lipstick traces on a cigarette
The light comes up on only land
Forest here once
Forest here again
Robert Montgomery 2012
source ici
mardi 14 août 2012
A celle qui est trop gaie
Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !
Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.
Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur !
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.
Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l'esprit des poètes
L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t'aime !
Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J'ai senti, comme une ironie,
Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon coeur,
Que j'ai puni sur une fleur
L'insolence de la Nature.
Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l'heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T'infuser mon venin, ma soeur !
C. Baudelaire
mercredi 8 août 2012
La blanche neige
Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil
Le cuisinier plume les oies
Ah ! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil
Le cuisinier plume les oies
Ah ! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
lundi 6 août 2012
La bel amour
Partir ainsi, ça c’est une aventure :
ils étaient seuls sur le petit rocher ;
pas une mouche et la rêche nature
était tout’ seule avec eux accrochés.
Oui zaccrochés sur un picot de pierre,
tout seuls au monde et je l’ai déjà dit
tout seuls au monde et seuls avec des pierres,
tout seuls au monde et je l’ai déjà dit.
Partir ainsi, c’est un fameux voyage.
Voilà ti pas que tout s’met à bouger.
Ca boug’ d’abord comme un petit nuage
et puis ça boug’, comme un’ mer enragée.
Tout seuls au monde et je l’ai déjà dit,
l’homme et la fill’ sur la petite roche
tourbillonnants comm’ du vent dans un’ cloche
mont’ en plein ciel et sont au paradis.
C’est vert, c’est roug’, c’est bleu le paradis ;
ça sent les ang’ mais on n’y voit personne.
On peut siffler, crier comm’ des maudits,
On peut gueuler, i’a rien qui résonne.
Qu’est-c’ qu’in va faire ? On enfonc’ dans les v’lours.
I’ fait trop chaud, si on ôtait sa ch’mise ?
I’ a personn’.
Si on s’donnait des bises,
Si on s’couchait ? Si on faisait l’amour ?
On fait l’amour et ça dure et ça dure.
Quand c’est fini, on recommence encore.
L’amour au ciel, ça c’est une aventure ;
Quand c’est fini, on recommence encore.
On fait l’amour ; les soleils peuv’ crouler ;
C’est bien trop bon pour déjà qu’on s’arrête
- Julot, j’voudrais mourir sans m’réveiller.
- Mimi, jamais j’ai tant perdu la tête.
Eux qui croyaient qu’i zétaient seuls au monde,
I’ rest’ cent ans à boir’ la bel amour.
Cent ans ça fait comme un long train qui gronde.
Pour eux ça pass’ comme un petit tambour.
Eux qui croyaient qu’i z’étaient seuls au monde,
Les séraphins sont là pour les zyeuter,
Les séraphins autour d’eux font des rondes
Et n’ont pas d’fleurs assez pour leur jeter.
Tout nus, tout chauds sur des mat’las d’étoiles,
Tout jeun’, tout beaux, sans chemise et sans voiles,
Deux p’tits oiseaux bien au doux dans leur nid
Et pour toujours au milieu d’l’infini.
C’est depuis lors que les ang’ sont si tristes
C’est depuis lors qu’au ciel, ça pleur’, les chants,
C’est depuis lors que tant d’malheur existe,
C’est depuis lors que Dieu est si méchant.
Norge
samedi 4 août 2012
Nostalgie du présent
A ce moment précis l’homme se dit:
Que ne donnerais-je pas pour le bonheur
d’être en Islande à tes côtés
sous le grand jour immobile
et de partager l’instant présent
comme on partage la musique
ou le goût d’un fruit.
A ce moment précis
l’homme était en Islande à côté d’elle.
Jorge Luis Borges (1899-1986) – Le Chiffre (La Cifra, 1981) – traduction et source ici
Que ne donnerais-je pas pour le bonheur
d’être en Islande à tes côtés
sous le grand jour immobile
et de partager l’instant présent
comme on partage la musique
ou le goût d’un fruit.
A ce moment précis
l’homme était en Islande à côté d’elle.
mercredi 1 août 2012
La chambre dans l’espace
Tel le chant du ramier quand l’averse est prochaine – L’air se poudre de pluie, de soleil revenant –, je m’éveille lavé, je fonds en m’élevant ; je vendange le ciel novice.
Allongé contre toi, je meus ta liberté. Je suis un bloc de terre qui réclame sa fleur.
Est-il gorge menuisée plus radieuse que la tienne ? Demander c’est mourir !
L’aile de ton soupir met un duvet aux feuilles. Le trait de mon amour ferme ton fruit, le boit.
Je suis dans la grâce de ton visage que mes ténèbres couvrent de joie.
Comme il est beau ton cri qui me donne ton silence !
René Char, In Les Matinaux, La Parole en archipel, © La Pléiade, p.372
source ici
Allongé contre toi, je meus ta liberté. Je suis un bloc de terre qui réclame sa fleur.
Est-il gorge menuisée plus radieuse que la tienne ? Demander c’est mourir !
L’aile de ton soupir met un duvet aux feuilles. Le trait de mon amour ferme ton fruit, le boit.
Je suis dans la grâce de ton visage que mes ténèbres couvrent de joie.
Comme il est beau ton cri qui me donne ton silence !
René Char, In Les Matinaux, La Parole en archipel, © La Pléiade, p.372
source ici
lundi 30 juillet 2012
« VOYAGEUR CHÉRUBINIQUE »
Je me plonge seul dans la mer incréée de la pure divinité.
Je suis moi-même l’éternité quand j’abandonne le temps et que je résume moi-même en Dieu, et Dieu en moi.
Je suis aussi riche que Dieu. Homme, crois-moi, il n’y a pas un atome que je ne partage avec lui.
Celui qui ne désire rien, n’a rien, ne sait rien, n’aime rien, celui-là sait, désire, possède, aime toujours davantage.
Halte ! Où cours-tu ? Le ciel est en toi. Si tu cherches Dieu ailleurs, il te fera toujours défaut.
Celui qui est comme s’il n’était pas et comme s’il n’avait jamais été, celui-là – ô Béatitude ! – est vraiment devenu Dieu.
Je dois moi-même être soleil, je dois avec mes rayons peindre la mer sans couleur de toute la divinité.
Pourquoi te plaindre de Dieu ? C’est toi-même qui te damnes ; Dieu ne pourrait pas le faire, crois-moi, assurément.
Le ciel est en toi et aussi le tourment de l’enfer. Ce que tu veux et ce que tu choisis, tu l’auras partout.
Dieu n’est pas ici, ni là ; celui qui veut le trouver doit se laisser lier les mains, les pieds, le corps et l’âme.
Va là où tu ne peux aller, regarde là où tu ne vois pas, écoute ce qui ne retentit ni ne résonne. Tu es là où Dieu parle.
Dieu est ce qu’il est, je suis ce que je suis ; si tu connais bien l’un des deux, tu connais moi et lui.
Dieu s’aime et se loue lui-même, autant qu’il le peut ; il s’agenouille, il s’incline, il se prie lui-même.
Dieu est tellement au-dessus de tout ce qu’on peut dire que c’est en te taisant que tu le pries le mieux.
L’amour est la pierre philosophale, elle sépare l’or de la boue, elle fait du néant l’Éant.
Les créatures sont les voix du Verbe éternel ; il se joue et il se chante dans la grâce et la colère.
Ce que connaît le Chérubin ne peut me suffire. Je veux voler au-dessus de lui, là où rien ne peut être connu.
En Dieu on ne connaît rien. Il est un unique UN. Ce qu’on connaît en lui, il faut l’être soi-même.
La rose ne connaît pas de pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne s’inquiète pas d’elle-même, elle ne se demande pas si on la voit.
Homme, si le Paradis n’existe pas d’abord en toi, crois-moi, tu n’y entreras jamais.
Agir est bien, mais prier est mieux et mieux encore, s’avancer muet et calme, vers Dieu, Notre-Seigneur.
Ni créature ni Créateur ne peuvent t’enlever la quiétude. Toi seul te troubles, Folie, par le souci des choses.
Homme, deviens essentiel ; quand le monde disparaîtra, l’accident tombera, l’essence restera.
Homme, donne à Dieu ton coeur, il te donne le sien. Y a-t-il plus noble troc ? Tu t’élèves, il descend...
Meurs ou vis en Dieu, les deux sont bons ; car Dieu doit mourir et Dieu doit vivre aussi.
Homme, si tu veux exprimer l’essence de l’Éternité, il te faut d’abord renoncer au langage.
Chrétien, il n’est pas suffisant que je ne vive qu’en Dieu ; il faut aussi que je fasse monter en moi la sève de Dieu.
Je suis une montagne en Dieu et je dois m’escalader moi-même afin que Dieu me montre de loin son bien-aimé visage.
Si l’esprit de Dieu te touche de son essence, en toi naît l’enfant de l’Éternité.
Comment peux-tu désirer cela, toi qui peux être le ciel, et la terre, et mille anges ?
Quel est l’aspect de mon Dieu ? Va et regarde-toi. Celui qui se contemple en Dieu, contemple Dieu en vérité.
Dieu, qui jouit de lui-même, ne se rassasie jamais, car il trouve en lui seul la satiété.
Que te sert de te laver dans l’eau, si tu ne supprimes pas en toi le plaisir de barboter dans la boue ?
Par l’amour aller et venir, respirer l’amour, le proclamer, le chanter, c’est vivre la vie des séraphins.
Le ciel descend, il vient, le voilà terre ; quand donc la terre s’élèvera-t-elle, quand deviendra-t-elle ciel ?
Dieu m’aime, il est si inquiet de moi qu’il meurt d’angoisse, si je m’éloigne de lui.
Le royaume du ciel, la vie céleste sont faciles à conquérir ; assiège Dieu par l’amour, il faudra bien qu’il capitule.
Sois pauvre ; le Saint ne possède rien ici-bas, que ce qu’il possède contre son gré, le corps de la mortalité.
On ne peut trouver sur terre plus grande sainteté qu’un corps chaste avec une âme sans péché.
On dit qu’à Dieu rien ne manque, qu’il n’a pas besoin de nos dons. Est-ce vrai ? Pourquoi veut-il alors mon pauvre coeur ?
Hélas, hélas, défunt est l’amour. Comment est-il mort ? Le gel l’a tué quand nul n’y prenait garde.
Dieu est mon centre quand je l’enferme en moi, et ma circonférence quand mon amour me dissout en lui.
L’amour de ce monde finit dans l’affliction, aussi mon coeur n’aime-t-il que l’éternelle beauté.
L’âme a deux yeux : l’un regarde le temps, l’autre se lève vers l’éternité.
Ici-bas je coule encore en Dieu comme un ruisseau du temps, mais, là-haut, je suis moi-même la mer de la béatitude éternelle.
Si tu conduis ta petite barque sur l’océan de la Divinité, bien heureux seras-tu si tu peux t’y noyer.
Dieu n’apprécie point le bien que tu fais, mais la façon dont tu le fais, il ne regarde pas le fruit mais seulement le noyau et la racine.
Le sage, quand il meurt, ne demande pas le ciel ; il y est déjà, avant que son coeur ne se brise.
Homme, c’est en cela que tu aimes que tu seras transformé ; tu seras Dieu si tu aimes Dieu, terre si tu aimes la terre.
Le chemin le plus court vers Dieu est par la porte de l’amour ; la voie de la science t’y conduit trop lentement.
Dans la volonté tu te perds, en elle tu te retrouves ; la volonté qui te libère te lie et t’enchaîne.
Avoir beaucoup ne rend pas riche. Celui-là est un homme riche qui peut perdre sans souffrance tout ce qu’il a.
Quand le Christ serait né mille fois à Bethléem, s’il ne naît pas en toi, tu es perdu pour l’éternité.
Angelius Silesius, Fragments ( alias Johann Scheffler, né à Breslau, en 1624)
vendredi 27 juillet 2012
Si pour un instant
Si, pour un instant Dieu oubliait que je suis juste
une marionnette,et me donnait une petite tranche de vie en plus, je
voudrais profiter de ce moment-là, du mieux que je peux.
Je ne pourrais probablement pas dire tout ce que je
pense, mais je pense vraiment tout ce que je dis.
Je voudrais apprécier les choses non pas pour ce
qu'elles valent, mais pour ce qu'elles représentent.
Je voudrais dormir moins et rêver plus.
Pour chaque minute où nous fermons les yeux nous
perdons soixante secondes de lumière.
Je voudrais continuer là où d'autres se sont arrêtés
et je voudrais me lever alors que les autres dorment.
Si Dieu m’accorde encore un bout de vie, je
m'habillerais plus simplement, j’irais me baigner dans la lumière du
soleil, laissant à découvert, non seulement mon corps mais aussi mon
âme.
Je voudrais prouver aux Hommes combien ils se
trompent de penser qu'ils cessent de tomber amoureux quand ils
vieillissent, alors qu’ils commencent réellement à vieillir dès qu'ils cessent
de tomber amoureux
Je voudrais donner des ailes aux enfants, mais je
voudrais laisser l'enfant apprendre à voler tout seul.
Aux anciens, je voudrais leur montrer que la mort ne
vient pas avec le processus de vieillissement, mais avec l'oubli.
J'ai appris tant de choses de vous...
J'ai appris que tout le monde veut vivre au sommet
de la montagne, oubliant que tout ce qui compte c'est comment nous
montons.
J'ai appris que quand un nouveau-né saisit le pouce
de son père, il le prend pour toujours.
J'ai appris qu'un homme a le droit de regarder
quelqu'un de haut, seulement quand il est en train de l'aider à se
relever.
J'ai appris tant de choses de vous tous.
Dites toujours ce que vous ressentez et faites ce
que vous pensez.
Si je savais qu'aujourd'hui c’était la dernière fois
que j’allais vous voir, je vous serrerais fort dans mes bras pour être
le gardien de votre âme.
Si je savais que c’étaient les dernières minutes que
je vous voyais, je vous dirais "Je vous aime" sans
supposer que vous le saviez.
Il y a toujours un matin où la vie nous donne une
autre occasion de faire en sorte que les choses soient bonnes.
Gardez toujours près de vous, vos êtres chers, et
dites leur combien vous en avez besoin, aimez-les et prenez soin d'eux.
Prenez le temps de dire: «Je suis désolé",
"Pardonnez-moi", "s'il vous plaît», «Merci» et tous les mots agréables et
gentils que vous connaissez.
Personne ne se souviendra de vous, si vous gardez
vos pensées secrètes.
Forcez-vous à les exprimer.
Montrez à vos amis et êtres chers combien vous vous
souciez d'eux."
Pensées attribuées à :
GABRIEL GARCIA MARQUEZ
mercredi 25 juillet 2012
L'étoile a pleuré rose...
L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.
Rimbaud
mardi 24 juillet 2012
Agnus Dei
L'agneau cherche l'amère bruyère,
C'est le sel et non le sucre qu'il préfère,
Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière.
Quand il veut un but, rien ne l'arrête,
Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète...
Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.
Donne-nous la paix et non la guerre,
Ô l'agneau terrible en ta juste colère.
Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
C'est le sel et non le sucre qu'il préfère,
Son pas fait le bruit d'une averse sur la poussière.
Quand il veut un but, rien ne l'arrête,
Brusque, il fonce avec de grands coups de sa tête,
Puis il bêle vers sa mère accourue inquiète...
Agneau de Dieu, qui sauves les hommes,
Agneau de Dieu, qui nous comptes et nous nommes,
Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes.
Donne-nous la paix et non la guerre,
Ô l'agneau terrible en ta juste colère.
Ô toi, seul Agneau, Dieu le seul fils de Dieu le Père.
Paul Verlaine
jeudi 12 juillet 2012
Ces gens-là
D'abord d'abord y a l'aîné
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie
Et puis y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas - on triche
Et puis y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui regarde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands chloups
Et ça fait des grands chloups
Et puis y a la toute vieille
Qui en finit pas de vibrer
Et qu'on attend qu'elle crève
Vu que c'est elle qui a l'oseille
Et qu'on n'écoute même pas
Ce que ces pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne cause pas Monsieur
On ne cause pas - on compte
Et puis et puis
Et puis y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A écorcher les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.
Jacques Brel
Lui qui est comme un melon
Lui qui a un gros nez
Lui qui sait plus son nom
Monsieur tellement qui boit
Ou tellement qu'il a bu
Qui fait rien de ses dix doigts
Mais lui qui n'en peut plus
Lui qui est complètement cuit
Et qui se prend pour le roi
Qui se saoule toutes les nuits
Avec du mauvais vin
Mais qu'on retrouve matin
Dans l'église qui roupille
Raide comme une saillie
Blanc comme un cierge de Pâques
Et puis qui balbutie
Et qui a l'oeil qui divague
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne pense pas Monsieur
On ne pense pas on prie
Et puis y a l'autre
Des carottes dans les cheveux
Qu'a jamais vu un peigne
Qu'est méchant comme une teigne
Même qu'il donnerait sa chemise
A des pauvres gens heureux
Qui a marié la Denise
Une fille de la ville
Enfin d'une autre ville
Et que c'est pas fini
Qui fait ses petites affaires
Avec son petit chapeau
Avec son petit manteau
Avec sa petite auto
Qu'aimerait bien avoir l'air
Mais qui a pas l'air du tout
Faut pas jouer les riches
Quand on n'a pas le sou
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne vit pas Monsieur
On ne vit pas - on triche
Et puis y a les autres
La mère qui ne dit rien
Ou bien n'importe quoi
Et du soir au matin
Sous sa belle gueule d'apôtre
Et dans son cadre en bois
Y a la moustache du père
Qui est mort d'une glissade
Et qui regarde son troupeau
Bouffer la soupe froide
Et ça fait des grands chloups
Et ça fait des grands chloups
Et puis y a la toute vieille
Qui en finit pas de vibrer
Et qu'on attend qu'elle crève
Vu que c'est elle qui a l'oseille
Et qu'on n'écoute même pas
Ce que ces pauvres mains racontent
Faut vous dire Monsieur
Que chez ces gens-là
On ne cause pas Monsieur
On ne cause pas - on compte
Et puis et puis
Et puis y a Frida
Qui est belle comme un soleil
Et qui m'aime pareil
Que moi j'aime Frida
Même qu'on se dit souvent
Qu'on aura une maison
Avec des tas de fenêtres
Avec presque pas de murs
Et qu'on vivra dedans
Et qu'il fera bon y être
Et que si c'est pas sûr
C'est quand même peut-être
Parce que les autres veulent pas
Parce que les autres veulent pas
Les autres ils disent comme ça
Qu'elle est trop belle pour moi
Que je suis tout juste bon
A écorcher les chats
J'ai jamais tué de chats
Ou alors y a longtemps
Ou bien j'ai oublié
Ou ils sentaient pas bon
Enfin ils ne veulent pas
Enfin ils ne veulent pas
Parfois quand on se voit
Semblant que c'est pas exprès
Avec ses yeux mouillants
Elle dit qu'elle partira
Elle dit qu'elle me suivra
Alors pour un instant
Pour un instant seulement
Alors moi je la crois Monsieur
Pour un instant
Pour un instant seulement
Parce que chez ces gens-là
Monsieur on ne s'en va pas
On ne s'en va pas Monsieur
On ne s'en va pas
Mais il est tard Monsieur
Il faut que je rentre chez moi.
Jacques Brel
mardi 10 juillet 2012
Poème
Le poème du jour revient de vacances les poches pleines de poèmes. Jusque vendredi! Ensuite il sera reparti.
Bon été à tous!
Je pense qu’en ce moment
personne peut-être ne pense à moi dans l’univers,
que moi seul je me pense,
et si maintenant je mourais,
personne ni moi ne me penserait.
Et ici commence l’abîme,
comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre soutien et me l’ôte.
Je contribue à tapisser d’absence toute chose.
C’est pour cela peut-être
que penser à un homme
revient à le sauver.
Roberto Juarroz – Poème (1958)
Bon été à tous!
Je pense qu’en ce moment
personne peut-être ne pense à moi dans l’univers,
que moi seul je me pense,
et si maintenant je mourais,
personne ni moi ne me penserait.
Et ici commence l’abîme,
comme lorsque je m’endors.
Je suis mon propre soutien et me l’ôte.
Je contribue à tapisser d’absence toute chose.
C’est pour cela peut-être
que penser à un homme
revient à le sauver.
Roberto Juarroz – Poème (1958)
jeudi 14 juin 2012
Le programme en quelques siècles
On supprimera la Foi
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.
On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.
On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.
On supprimera l’Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.
On supprimera l’Esprit de Vérité
Au nom de l’Esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.
On supprimera le Sens du Mot
Au nom du sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots
On supprimera le Sublime
Au nom de l’Art,
Puis on supprimera l’art.
On supprimera les Écrits
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.
On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.
On supprimera le Prophète
Au nom du Poète,
Puis on supprimera le poète.
On supprimera l’Esprit,
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.
Au nom de rien on supprimera l’homme ;
On supprimera le nom de l’homme ;
Il n’y aura plus de nom ;
Nous y sommes.
Armand Robin
Au nom de la Lumière,
Puis on supprimera la lumière.
On supprimera l’Âme
Au nom de la Raison,
Puis on supprimera la raison.
On supprimera la Charité
Au nom de la Justice
Puis on supprimera la justice.
On supprimera l’Amour
Au nom de la Fraternité,
Puis on supprimera la fraternité.
On supprimera l’Esprit de Vérité
Au nom de l’Esprit critique,
Puis on supprimera l’esprit critique.
On supprimera le Sens du Mot
Au nom du sens des mots,
Puis on supprimera le sens des mots
On supprimera le Sublime
Au nom de l’Art,
Puis on supprimera l’art.
On supprimera les Écrits
Au nom des Commentaires,
Puis on supprimera les commentaires.
On supprimera le Saint
Au nom du Génie,
Puis on supprimera le génie.
On supprimera le Prophète
Au nom du Poète,
Puis on supprimera le poète.
On supprimera l’Esprit,
Au nom de la Matière,
Puis on supprimera la matière.
Au nom de rien on supprimera l’homme ;
On supprimera le nom de l’homme ;
Il n’y aura plus de nom ;
Nous y sommes.
Armand Robin
mercredi 13 juin 2012
Poète noir
Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.
Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.
Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs.
A. Artaud, L’ombilic des limbes, 1925
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.
Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.
Les yeux ragent, les langues tournent
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs.
A. Artaud, L’ombilic des limbes, 1925
mardi 12 juin 2012
Solitude
C'est la Solitude maintenant qui vient la nuit,
A la place du Sommeil, s'asseoir près de mon lit.
Comme une enfant fatiguée je repose et guette ses pas,
Je la regarde doucement souffler la bougie.
Elle reste assise, immobile et sans bruit,
Lasse, si lasse, laissant tomber sa tête.
Elle aussi est vieille, elle aussi a livré le combat.
De feuilles de lauriers son front est couronné.
Dans l'obscurité morne, la marée lentement descend,
Se brise inassouvie sur la rive stérile.
Un vent étrange passe... puis, le silence. Je voudrais
Me tourner vers elle, la prendre par la main,
La serrer dans mes bras, et attendre ainsi que la terre stérile
Soit remplie par la terrible monotonie de la pluie.
Katherine Mansfield - traduit par Anne Minkowski
(extraits)
lundi 11 juin 2012
L'amour borgne
Je t’aime de mon œil unique, je te lorgne
Ainsi qu’un chinois l’opium :
Je t’aime de mon amour borgne,
Fille aussi blanche qu’un arum.
Je veux tes paupières de bistre,
Et ta voix plus lente qu’un sistre ;
Je t’aime de mon œil sinistre
Où luit la colère du rhum.
Je te suis du regard, lubrique comme un singe,
Ivre comme un ballon sans lest.
Ton âme incertaine de Sphinge
Flotte entre le zist et le zest.
Et je halette vers l’amorce
Des seins vibrants, du souple torse
Où la grâce épouse la force,
Et des yeux verts comme l’ouest.
Ton visage s’estompe à travers les courtines ;
Et tu médites, un fruit sec
Entre tes lèvres florentines
Où s’apaise un sourire grec.
Je meurs de tes paroles brèves
Je veux que de tes dents tu crèves
Mon œil où se brouillent les rêves,
Comme un ara, d’un coup de bec.
Renée Vivien
Ainsi qu’un chinois l’opium :
Je t’aime de mon amour borgne,
Fille aussi blanche qu’un arum.
Je veux tes paupières de bistre,
Et ta voix plus lente qu’un sistre ;
Je t’aime de mon œil sinistre
Où luit la colère du rhum.
Je te suis du regard, lubrique comme un singe,
Ivre comme un ballon sans lest.
Ton âme incertaine de Sphinge
Flotte entre le zist et le zest.
Et je halette vers l’amorce
Des seins vibrants, du souple torse
Où la grâce épouse la force,
Et des yeux verts comme l’ouest.
Ton visage s’estompe à travers les courtines ;
Et tu médites, un fruit sec
Entre tes lèvres florentines
Où s’apaise un sourire grec.
Je meurs de tes paroles brèves
Je veux que de tes dents tu crèves
Mon œil où se brouillent les rêves,
Comme un ara, d’un coup de bec.
Renée Vivien
vendredi 8 juin 2012
La Pluie
Longue comme des fils sans fin, la longue pluie
Interminablement, à travers le jour gris,
Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,
Infiniment, la pluie,
La longue pluie,
La pluie.
Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,
Des haillons mous qui pendent,
Au ciel maussade et noir.
Elle s'étire, patiente et lente,
Sur les chemins, depuis hier soir,
Sur les chemins et les venelles,
Continuelle.
Au long des lieues,
Qui vont des champs vers les banlieues,
Par les routes interminablement courbées,
Passent, peinant, suant, fumant,
En un profil d'enterrement,
Les attelages, bâches bombées ;
Dans les ornières régulières
Parallèles si longuement
Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,
L'eau dégoutte, pendant des heures ;
Et les arbres pleurent et les demeures,
Mouillés qu'ils sont de longue pluie,
Tenacement, indéfinie.
Les rivières, à travers leurs digues pourries,
Se dégonflent sur les prairies,
Où flotte au loin du foin noyé ;
Le vent gifle aulnes et noyers ;
Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,
De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;
Le soir approche, avec ses ombres,
Dont les plaines et les taillis s'encombrent,
Et c'est toujours la pluie
La longue pluie
Fine et dense, comme la suie.
La longue pluie,
La pluie - et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
Tissent le vêtement,
Maille à maille, de dénûment,
Pour les maisons et les enclos
Des villages gris et vieillots :
Linges et chapelets de loques
Qui s'effiloquent,
Au long de bâtons droits ;
Bleus colombiers collés au toit ;
Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,
Un emplâtre de papier bistre ;
Logis dont les gouttières régulières
Forment des croix sur des pignons de pierre ;
Moulins plantés uniformes et mornes,
Sur leur butte, comme des cornes
Clochers et chapelles voisines,
La pluie,
La longue pluie,
Pendant l'hiver, les assassine.
La pluie,
La longue pluie, avec ses longs fils gris.
Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,
La longue pluie
Des vieux pays,
Éternelle et torpide !
Emile Verhaeren
x
Interminablement, à travers le jour gris,
Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,
Infiniment, la pluie,
La longue pluie,
La pluie.
Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,
Des haillons mous qui pendent,
Au ciel maussade et noir.
Elle s'étire, patiente et lente,
Sur les chemins, depuis hier soir,
Sur les chemins et les venelles,
Continuelle.
Au long des lieues,
Qui vont des champs vers les banlieues,
Par les routes interminablement courbées,
Passent, peinant, suant, fumant,
En un profil d'enterrement,
Les attelages, bâches bombées ;
Dans les ornières régulières
Parallèles si longuement
Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,
L'eau dégoutte, pendant des heures ;
Et les arbres pleurent et les demeures,
Mouillés qu'ils sont de longue pluie,
Tenacement, indéfinie.
Les rivières, à travers leurs digues pourries,
Se dégonflent sur les prairies,
Où flotte au loin du foin noyé ;
Le vent gifle aulnes et noyers ;
Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,
De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;
Le soir approche, avec ses ombres,
Dont les plaines et les taillis s'encombrent,
Et c'est toujours la pluie
La longue pluie
Fine et dense, comme la suie.
La longue pluie,
La pluie - et ses fils identiques
Et ses ongles systématiques
Tissent le vêtement,
Maille à maille, de dénûment,
Pour les maisons et les enclos
Des villages gris et vieillots :
Linges et chapelets de loques
Qui s'effiloquent,
Au long de bâtons droits ;
Bleus colombiers collés au toit ;
Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,
Un emplâtre de papier bistre ;
Logis dont les gouttières régulières
Forment des croix sur des pignons de pierre ;
Moulins plantés uniformes et mornes,
Sur leur butte, comme des cornes
Clochers et chapelles voisines,
La pluie,
La longue pluie,
Pendant l'hiver, les assassine.
La pluie,
La longue pluie, avec ses longs fils gris.
Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,
La longue pluie
Des vieux pays,
Éternelle et torpide !
Emile Verhaeren
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