mardi 28 février 2012

Clown sur la lune

Mes larmes dérivent comme
Les pétales d’une rose magique
Et toute ma douleur coule
De la faille des cieux et de neiges sans nombre.

Je pense que si je retombais
Sur terre, je m’effriterais ;
C’est si triste et beau
C’est le tremblement d’un rêve.

***

Dylan Thomas (1914-1953) – Traduction d’Alain Suied

vendredi 24 février 2012

Prendre corps


Je te narine je te chevelure
je te hanche
tu me hantes
je te poitrine je buste ta poitrine puis te visage
je te corsage
tu m'odeur tu me vertige
tu glisses
je te cuisse je te caresse
je te frissonne tu m'enjambes
tu m'insuportable
je t'amazone
je te gorge je te ventre
je te jupe
je te jarretelle je te bas je te Bach
oui je te Bach pour clavecin sein et flûte

je te tremblante
tu me séduis tu m'absorbes
je te dispute
je te risque je te grimpe
tu me frôles
je te nage
mais toi tu me tourbillonnes
tu m'effleures tu me cernes
tu me chair cuir peau et morsure
tu me slip noir
tu me ballerines rouges
et quand tu ne haut-talon pas mes sens
tu les crocodiles
tu les phoques tu les fascines
tu me couvres
je te découvre je t'invente
parfois tu te livres

tu me lèvres humides
je te délivre je te délire
tu me délires et passionnes
je t'épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n'omoplate pas avant mes poumons
même à distance tu m'aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dents je te griffe
je te vulve je te paupières
je te haleine je t'aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
je te joues et te veines

je te mains
je te sueur
je te langue
je te nuque
je te navigue
je t'ombre je te corps et te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t'iris

je t'écris
tu me penses

Ghérasim Luca: in, « Paralipomènes » (La Fin du Monde)

mercredi 22 février 2012

Le spectre de la rose


Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal.
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal.

Tu me pris encor emperlée
Des pleurs d’argent de l’arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.

Ô toi, qui de ma mort fut cause,
Sans que tu puisses le chasser,
Toutes les nuits mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.

Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe ni De Profundis,
Ce léger parfum est mon âme
Et j’arrive du Paradis.

Mon destin fut digne d’envie,
Et pour avoir un sort si beau
Plus d’un aurait donné sa vie.
Car sur ton sein j’ai mon tombeau,

Et sur l’albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Écrivit : "Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser".

Théophile Gautier  (1811-1872)


Mis en musique par Berlioz ici: http://www.youtube.com/watch?v=kXSxmKhhyAw


lundi 20 février 2012

POÉSIES II


Le génie garantit les facultés du cœur.

L’homme n’est pas moins immortel que l’âme.

Les grandes pensées viennent de la raison !

La fraternité n’est pas un mythe.

Les enfants qui naissent ne connaissent rien de la vie, pas même la grandeur.

Dans le malheur, les amis augmentent.

Vous qui entrez, laissez tout désespoir.

Bonté, ton nom est homme.

C’est ici que demeure la sagesse des nations.

Chaque fois que j’ai lu Shakspeare, il m’a semblé que je déchiquète la cervelle 
d’un jaguar.

J'écrirai mes pensées avec ordre, par un dessein sans confusion. Si elles sont 
justes, la première venue sera la conséquence des autres. C'est le véritable 
ordre. Il marque mon objet par le désordre calligraphique. Je ferais trop de 
déshonneur à mon sujet, si je ne le traitais pas avec ordre. Je veux montrer 
qu'il en est capable.

Je n’accepte pas le mal. L’homme est parfait. L’âme ne tombe pas. Le progrès 
existe. Le bien est irréductible. Les antéchrists, les anges accusateurs, les 
peines éternelles, les religions sont le produit du doute.

...

Je me figure Elohim plutôt froid que sentimental.

L’amour d’une femme est incompatible avec l’amour de l’humanité. L’imperfection 
doit être rejetée. Rien n’est plus imparfait que l’égoïsme à deux. Pendant la 
vie, les défiances, les récriminations, les serments écrits dans la poudre 
pullulent. 
...

L’erreur est la légende douloureuse.

Les hymnes à Elohim habituent la vanité à ne pas s’occuper des choses de la 
terre. Tel est l’écueil des hymnes. Ils déshabituent l’humanité à compter sur 
l’écrivain. Elle le délaisse. Elle l’appelle mystique, aigle, parjure à sa 
mission. Vous n’êtes pas la colombe cherchée.

Un pion pourrait se faire un bagage littéraire, en disant le contraire de ce 
qu’ont dit les poètes de ce siècle. Il remplacerait leurs affirmations par des 
négations. Réciproquement. S’il est ridicule d’attaquer les premiers principes, 
il est plus ridicule de les défendre contre ces mêmes attaques. Je ne les 
défendrai pas.

Le sommeil est une récompense pour les uns, un supplice pour les autres. Pour 
tous, il est une sanction.

Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face de la terre aurait 
changé. Son nez n'en serait pas devenu plus long.

Les actions cachées sont les plus estimables. Lorsque j'en vois tant dans 
l'histoire, elle me plaisent beaucoup. Elles n'ont pas été tout à fait cachées. 
Elles ont été sues. Ce peu, par où elles ont paru, en augmente le mérite. C'est 
le plus beau de n'avoir pas pu les cacher.

Le charme de la mort n’existe que pour les courageux.

L'homme est si grand, que sa grandeur paraît surtout en ce qu'il ne veut pas se 
connaître misérable. Un arbre ne se connaît pas grand. C'est être grand que de 
se connaître grand. C'est être grand que de ne pas vouloir se connaître 
misérable. Sa grandeur réfute ces misères. Grandeur d'un roi.

Lorsque j'écris ma pensée, elle ne m'échappe pas. Cette action me fait souvenir 
de ma force que j'oublie à toute heure. Je m'instruis à proportion de ma pensée 
enchaînée. Je ne tends qu'à connaître la contradiction de mon esprit avec le 
néant.

Le cœur de l’homme est un livre que j’ai appris à estimer.

Non imparfait, non déchu, l’homme n’est plus le grand mystère.

Je ne permets à personne, pas même à Elohim, de douter de ma sincérité.

Nous sommes libres de faire le bien.

Le jugement est infaillible.

Nous ne sommes pas libres de faire le mal.

L'homme est le vainqueur des chimères, la nouveauté de demain, la régularité 
dont gémit le chaos, le sujet de la conciliation. Il juge de toutes choses. Il 
n'est pas imbécile. Il n'est pas ver de terre. C'est le dépositaire du vrai, 
l'amas de certitude, la gloire, non le rebut de l'univers. S'il s'abaisse, je le 
vante. S'il se vante, je le vante davantage. Je le concilie. Il parvient à 
comprendre qu'il est la sœur de l'ange.

Il n’y a rien d’incompréhensible.

La pensée n’est pas moins claire que le cristal. Une religion, dont les 
mensonges s’appuient sur elle, peut la troubler quelques minutes, pour parler de 
ces effets qui durent longtemps. Pour parler de ces effets qui durent peu de 
temps, un assassinat de huit personnes aux portes d’une capitale, la troublera - 
c’est certain - jusqu’à la destruction du mal. La pensée ne tarde pas à 
reprendre sa limpidité.

La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. Elle énonce les rapports qui 
existent entre les premiers principes et les vérités secondaires de la vie. 
Chaque chose reste à sa place. La mission de la poésie est difficile. Elle ne se 
mêle pas aux événements de la politique, à la manière dont on gouverne un 
peuple, ne fait pas allusion aux périodes historiques, aux coups d’État, aux 
régicides, aux intrigues des cours. Elle ne parle pas des luttes que l’homme 
engage, par exception, avec lui-même, avec ses passions. Elle découvre les lois 
qui font vivre la politique théorique, la paix universelle, les réfutations de 
Machiavel, les cornets dont se composent les ouvrages de Proudhon, la 
psychologie de l’humanité. Un poète doit être plus utile qu’aucun citoyen de sa 
tribu. Son œuvre est le code des diplomates, des législateurs, des instructeurs 
de la jeunesse. Nous sommes loin des Homère, des Virgile, des Klopstock, des 
Camoëns, des imaginations émancipées, des fabricateurs d’odes, des marchands 
d’épigrammes contre la divinité. Revenons à Confucius, au Boudha, à Socrate, à 
Jésus-Christ, moralistes qui couraient les villages en souffrant de faim ! Il 
faut compter désormais avec la raison, qui n’opère que sur les facultés qui 
président à la catégorie des phénomènes de la bonté pure.

...


Le principe des cultes est l’orgueil. Il est ridicule d’adresser la parole à 
Elohim, comme ont fait les Job, les Jérémie, les David, les Salomon, les 
Turquéty. La prière est un acte faux. La meilleure manière de lui plaire est 
indirecte, plus conforme à notre force. Elle consiste à rendre notre race 
heureuse. Il n’y a pas deux manières de plaire à Elohim. L’idée du bien est une. 
Ce qui est le bien en moins l’étant en plus, je permets que l’on me cite 
l’exemple de la maternité. Pour plaire à sa mère, un fils ne lui criera pas 
qu’elle est sage, radieuse, qu’il se conduira de façon à mériter la plupart de 
ses éloges. Il fait autrement. Au lieu de le dire lui-même, il le fait penser 
par ses actes, se dépouille de cette tristesse qui gonfle les chiens de Terre-
Neuve. Il ne faut pas confondre la bonté d’Elohim avec la trivialité. Chacun est 
vraisemblable. La familiarité engendre le mépris ; la vénération engendre le 
contraire. Le travail détruit l’abus des sentiments.

Nul raisonneur ne croit contre sa raison.

La foi est une vertu naturelle par laquelle nous acceptons les vérités qu’Elohim 
nous révèle par la conscience.

Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être né. Un esprit impartial la 
trouve complète.

Le bien est la victoire sur le mal, la négation du mal. Si l’on chante le bien, 
le mal est éliminé par cet acte congru. Je ne chante pas ce qu’il ne faut pas 
faire. Je chante ce qu’il faut faire. Le premier ne contient pas le second. Le 
second contient le premier.

La jeunesse écoute les conseils de l’âge mûr. Elle a une confiance illimitée en 
elle-même.

Je ne connais pas d’obstacle qui passe les forces de l’esprit humain, sauf la 
vérité.

La maxime n'a pas besoin d'elle pour se prouver. Un raisonnement demande un 
raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. 
Un raisonnement se complète à mesure qu’il s’approche de la maxime. Devenu 
maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose. 

Le doute est un hommage rendu à l’espoir. Ce n’est pas un hommage volontaire. 
L’espoir ne consentirait pas à n’être qu’un hommage.

Le mal s’insurge contre le bien. Il ne peut pas faire moins.

C'est une preuve d'amitié de ne pas s'apercevoir de l'augmentation de celle de 
nos amis.

L’amour n’est pas le bonheur.

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à nous 
corriger, à louer dans les autres ce qui nous manque.

Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent 
qu’il faut commencer par se détester soi-même.

Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent 
au duel à mort sont courageux.

Comme les turpitudes du roman s’accroupissent aux étalages ! Pour un homme qui 
se perd, comme un autre pour une pièce de cent sous, il semble parfois qu’on 
tuerait un livre.

Lamartine a cru que la chute d'un ange deviendrait l’Elévation d’un Homme. Il a 
eu tort de le croire.

Pour faire servir le mal à la cause du bien, je dirai que l’intention du premier 
est mauvaise.

Une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de Dickens, de Gustave 
Aymard, de Victor Hugo, de Landelle. Avec les derniers, un enfant, survivant à 
l’univers, ne pourrait pas reconstruire l’âme humaine. Avec la première, il le 
pourrait. Je suppose qu’il ne découvrît pas tôt ou tard la définition du 
sophisme.

Les mots qui expriment le mal sont destinés à prendre une signification d’utilité. Les idées s’améliorent. Le sens des mots y participe.

Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase 
d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par 
l’idée juste.

Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas à être corrigée. Elle demande à 
être développée.

...
Nous perdons la vie avec joie, pourvu qu'on n'en parle point.

Les passions diminuent avec l’âge. L’amour, qu’il ne faut pas classer parmi les 
passions, diminue de même. Ce qu’il perd d’un côté, il le regagne de l’autre. Il 
n’est plus sévère pour l’objet de ses vœux, se rendant justice à lui-même : 
l’expansion est acceptée. Les sens n’ont plus leur aiguillon pour exciter les 
sexes de la chair. L’amour de l’humanité commence. Dans ces jours où l’homme 
sent qu’il devient un autel que parent ses vertus, fait le compte de chaque 
douleur qui se releva, l’âme, dans un repli du cœur où tout semble prendre 
naissance, sent quelque chose qui ne palpite plus. J’ai nommé le souvenir.

L’écrivain, sans séparer l’une de l’autre, peut indiquer la loi qui régit 
chacune de ses poésies.

...

Le phénomène passe. Je cherche les lois.

Il y a des hommes qui ne sont pas des types. Les types ne sont pas des hommes. 
Il ne faut pas se laisser dominer par l’accidentel.

Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la 
philosophie de la poésie. La philosophie, ainsi comprise, englobe la poésie. La 
poésie ne pourra pas se passer de la philosophie. La philosophie pourra se 
passer de la poésie.

...
Mettez une plume d’oie dans la main d’un moraliste qui soit écrivain de premier 
ordre. Il sera supérieur aux poètes.

L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que le courage de 
souffrir l'injustice.

Cache-toi, guerre.

...

Elohim est fait à l’image de l’homme. 

Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs choses fausses sont 
incontredites. La contradiction est la marque de la fausseté. L'incontradiction 
est la marque de la certitude.

Une philosophie pour les sciences existe. Il n’en existe pas pour la poésie. Je 
ne connais pas de moraliste qui soit poète de premier ordre. C’est étrange, dira 
quelqu’un.

C'est une chose horrible de sentir s'écouler ce qu'on possède. L'on ne s'y 
attache même qu'avec l'envie de chercher s'il n'a point quelque chose de 
permanent.

L'homme est un sujet vide d'erreurs. Tout lui montre la vérité. Rien ne l'abuse. 
Les deux principes de la vérité, raison, sens, outre qu'ils ne manquent pas de 
sincérité, s'éclaircissent l'un l'autre. Les sens éclaircissent la raison par 
des apparences vraies. Ce même service qu'ils lui font, ils la reçoivent d'elle. 
Chacun prend sa revanche. Les phénomènes de l'âme pacifient les sens, leur font 
des impressions que je ne garantis pas fâcheuses. Ils ne mentent pas. Ils ne se 
trompent pas à l'envi.

La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo ! Pauvre Racine ! 
Pauvre Coppée ! Pauvre Corneille ! Pauvre Boileau ! Pauvre Scarron ! Tics, tics, 
et tics.

Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est l'ignorance où 
se trouvent les hommes en naissant. La deuxième est celle qu'atteignent les 
grandes âmes. Elles ont parcouru ce que les hommes peuvent savoir, trouvent 
qu'ils savent tout, se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient 
partis. C'est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d'entre eux qui, étant 
sortis de la première ignorance, n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque 
teinture de cette science suffisante, font les entendus. Ceux-là ne troublent 
pas le monde, ne jugent pas plus mal de tout que les autres. Le peuple, les 
habiles composent le train d'une nation. Les autres, qui la respectent, n'en 
sont pas moins respectés.

Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Comme il est fini, 
nos connaissances sont solides.

L’amour ne se confond pas avec la poésie.

La femme est à mes pieds !

...


Comte de Lautréamont - poésies

vendredi 17 février 2012

Solo de lune

Je fume, étalé face au ciel,
Sur l'impériale de la diligence,
Ma carcasse est cahotée, mon âme danse
Comme un Ariel;
Sans miel, sans fiel, ma belle âme danse,
Ô routes, coteaux, ô fumées, ô vallons,
Ma belle âme, ah ! récapitulons.

Nous nous aimions comme deux fous,
On s'est quitté sans en parler,
Un spleen me tenait exilé,
Et ce spleen me venait de tout. Bon.
Ses yeux disaient : « Comprenez-vous ?

« Pourquoi ne comprenez-vous pas ? »
Mais nul n'a voulu faire le premier pas,
Voulant trop tomber ensemble à genoux.
(Comprenez-vous ?)

Où est-elle à cette heure ?
Peut-être qu'elle pleure...
Où est-elle à. cette heure ?
Oh ! du moins, soigne-toi je t'en conjure !

Ô fraîcheur des bois le long de la route,
Ô châle de mélancolie, toute âme est un peu aux écoutes,
Que ma vie
Fait envie !
Cette impériale de diligence tient de la magie.

Accumulons l'irréparable !
Renchérissons sur notre sort !
Les étoiles sont plus nombreuses que le sable
Des mers où d'autres ont vu se baigner son corps;
Tout n'en va pas moins à la Mort,
Y a pas de port.

Des ans vont passer là-dessus,
On s'endurcira chacun pour soi,
Et bien souvent et déjà je m'y vois,
On se dira : « Si j'avais su... »
Mais mariés, de même, ne se fût-on pas dit :
« Si j'avais su, si j'avais su !... »!
Ah! rendez-vous maudit !
Ah ! mon cœur sans issue !...
Je me suis mal conduit.

Maniaques de bonheur,
Donc, que ferons-nous ? Moi de mon âme,
Elle de sa faillible jeunesse!
Ô vieillissante pécheresse,
Oh ! que de soirs je vais me rendre infâme
En ton honneur !

Ses yeux clignaient : « Comprenez-vous ?
« Pourquoi ne comprenez-vous pas ? »
Mais nul n'a fait le premier pas
Pour tomber ensemble à genoux. Ah !...

La lune se lève,
Ô route en grand rêve !...

On a dépassé les filatures, les scieries,
Plus que les bornes kilométriques,
De petits nuages d'un rose de confiserie,
Cependant qu'un fin croissant de lune se lève.
Ô route de rêve, ô nulle musique...
Dans ces bois de pins où depuis
Le commencement du monde
Il fait toujours nuit,
Que de chambres propres et profondes!
Oh ! pour un soir d’enlèvement !
Et je les peuple et je m'y vois,
Et c’est un beau couple d'amants,
Qui gesticulent hors la loi.

Et je passe et les abandonne,
Et me recouche face au ciel,
La route tourne, je suis Ariel,
Nul ne m’attend, je ne vais chez personne.
Je n'ai que l'amitié des chambres d’hôtel!

La lune se lève,
Ô route en grand rêve !
Ô route sans terme,
Voici le relais,
Où l'on allume les lanternes,
Où l'on boit un verre de lait,
Et fouette postillon,
Dans le chant des grillons,
Sous les étoiles de Juillet.

Ô clair de Lune,
Noce de feux de Bengale noyant mon infortune,
Les ombres des peupliers sur la route...
Le gave qui s’écoute...
Qui s’écoute chanter,...
Dans ces inondations du fleuve Léthé,...

Ô solo de lune,
Vous défiez ma plume.
Oh ! cette nuit sur la route;
Ô Étoiles, vous êtes à faire peur,
Vous y êtes toutes ! toutes !
Ô fugacité de cette heure...
Oh ! qu'il y eût moyen
De m'en garder l'âme pour l'automne qui vient !...

Voici qu'il fait très, très-frais,
Oh ! si à la même heure,
Elle va de même le long des forêts,
Noyer son infortune
Dans ces noces du clair de lune !...
(Elle aime tant errer tard !)
Elle aura oublié son foulard,
Elle va prendre mal, vu la beauté de l'heure !
Oh ! soigne-toi je t'en conjure !
Oh ! Je ne veux plus entendre cette toux !

Ah ! que ne suis-je tombé à tes genoux !
Ah ! que n'as-tu défailli à mes genoux !
J'eusse été le modèle des époux.
Comme le frou-frou de ta robe est le modèle des frou-frou.

Jules Laforgue

jeudi 16 février 2012

Solitude

Une seule chose est nécessaire: la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne - c'est à cela qu'il faut parvenir. Etre seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elle font. S'il n'est pas de communion entre les hommes et vous, essayez d'être près des choses: elles ne vous abandonneront pas. Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d'évènements auxquels vous pouvez prendre part. Les enfants sont toujours comme l'enfant que vous fûtes: tristes et heureux; et si vous pensez à votre enfance, vous revivez parmi eux, parmi les enfants secrets. Les grandes personnes ne sont rien, leur dignité ne répond à rien.

[...] Cherchez en vous-mêmes. Explorez la raison qui vous commande d'écrire; examinez si elle plonge ses racines au plus profond de votre coeur; faites-vous cet aveu : devriez-vous mourir s'il vous était interdit d'écrire. Ceci surtout : demandez-vous à l'heure la plus silencieuse de votre nuit; me faut-il écrire ? Creusez en vous-mêmes à la recherche d'une réponse profonde. Et si celle-ci devait être affirmative, s'il vous était donné d'aller à la rencontre de cette grave question avec un fort et simple "il le faut", alors bâtissez votre vie selon cette nécessité; votre vie, jusqu'en son heure la plus indifférente et la plus infime, doit être le signe et le témoignage de cette impulsion. Puis vous vous approcherez de la nature. Puis vous essayerez, comme un premier homme, de dire ce que vous voyez et vivez, aimez et perdez. N'écrivez pas de poèmes d'amour; évitez d'abord les formes qui sont trop courantes et trop habituelles : ce sont les plus difficiles, car il faut la force de la maturité pour donner, là où de bonnes et parfois brillantes traditions se présentent en foule, ce qui vous est propre. Laissez-donc les motifs communs pour ceux que vous offre votre propre quotidien; décrivez vos tristesses et vos désirs, les pensées fugaces et la foi en quelque beauté. Décrivez tout cela avec une sincérité profonde, paisible et humble, et utilisez, pour vous exprimer, les choses qui vous entourent, les images de vos rêves et les objets de votre souvenir. Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l'accusez pas; accusez-vous vous-même, dites-vous que vous n'êtes pas assez poète pour appeler à vous ses richesses; car pour celui qui crée il n'y a pas de pauvreté, pas de lieu pauvre et indifférent. Et fussiez-vous même dans une prison dont les murs ne laisseraient parvenir à vos sens aucune des rumeurs du monde, n'auriez-vous pas alors toujours votre enfance, cette délicieuse et royale richesse, ce trésor des souvenirs ? Tournez vers elle votre attention. Cherchez à faire resurgir les sensations englouties de ce vaste passé; votre personalité s'affirmera, votre solitude s'étendra pour devenir une demeure de douce lumière, loin de laquelle passera le bruit des autres.
Rainer Maria Rilke - in Lettres à un jeune poète, Gallimard

mercredi 15 février 2012

Les Djinns


Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.

Dieu! La voix sépulcrale
Des Djinns!... - Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle ou nous les narguons
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure!
L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, o ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophète! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!

Ils sont passés! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas;
Leur essaim gronde;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.


Victor Hugo

mardi 14 février 2012

Si tu t'imagines

Si tu t'imagines 
si tu t'imagines 
fillette fillette 
si tu t'imagines 
xa va xa va xa 
va durer toujours 
la saison des za 
la saison des za
saison des amours 
ce que tu te goures 
fillette fillette 
ce que tu te goures

Si tu crois petite 
si tu crois ah ah 
que ton teint de rose 
ta taille de guêpe 
tes mignons biceps 
tes ongles d'émail 
ta cuisse de nymphe
et ton pied léger 
si tu crois petite 
xa va xa va xa va 
va durer toujours 
ce que tu te goures 
fillette fillette 
ce que tu te goures

les beaux jours s'en vont 
les beaux jours de fête
soleils et planètes 
tournent tous en rond
mais toi ma petite 
tu marches tout droit
vers sque tu vois pas 
très sournois s'approchent 
la ride véloce 
la pesante graisse 
le menton triplé 
le muscle avachi 
allons cueille cueille 
les roses les roses
roses de la vie 
et que leurs pétales 
soient la mer étale 
de tous les bonheurs 
allons cueille cueille 
si tu le fais pas 
ce que tu te goures 
fillette fillette 
ce que tu te goures


Raymond Queneau, L'instant fatal

lundi 13 février 2012

A Dieu



Si Tu as créé un cercle où nous devons aller
Rentres-y et voyons comment tu t'y prendras.

On dit que ce mystère ne cessera jamais :
le prêtre promeut la guerre et le soldat, la paix.

Fais ce que tu veux : cette vie est une fiction
Et n'est faite que de la Contradiction.

L'ange qui présida à ma naissance
Dit : "Petite créature, toute de joie et de gaieté
Va, aime sans aucune aide sur cette terre".

La Terreur rugit dans la maison ;
Mais la Pitié se tient sur le seuil.

Je te donne le bout d'un fil d'or :
enroule ce fil autour d'une balle
et il te conduira à la Porte du Paradis
taillée dans le mur de Jérusalem.

Les âmes des hommes sont vendues et achetées
Ainsi que l'Enfance nourrie de lait pour un peu d'or ;
Et la jeunesse et la beauté
Conduites à l'abattoir, contre un peu de pain.


William Blake: Tr. Alain Suied

dimanche 12 février 2012

BRISE MARINE


La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres
D’être parmi l’écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend,
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l’ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

S.Mallarmé 

vendredi 10 février 2012

Nous dormirons ensemble


Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble 
 
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble 

Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble

jeudi 9 février 2012

Allégeance



Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

René Char,  Extrait de : "Eloge d'une soupçonnée, Poésie/Gallimard"

photo: A. Gursky, Montparnasse

mercredi 8 février 2012

Spleen


J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
- Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.
Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (Spleen et Idéal)

mardi 7 février 2012

Invictus

Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme.
Le texte original pour les anglophones
Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.
In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbowed.
Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.
It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate:
I am the captain of my soul.

William Ernest Henley  (1849–1903) - traduction tirée du film Invictus (ce poème fut l’une des sources d’inspiration de Nelson Mandela, enfermé pendant 27 ans à la prison de Robben Island.)

vendredi 3 février 2012

Ma morte vivante


Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement
J’attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même

Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos

Il m’est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j’ai crue infinie

Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent
J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.



Paul Eluard, in "Le Temps déborde"


jeudi 2 février 2012

Lorsque l'enfant était enfant

Lorsque l'enfant était enfant, il marchait les bras ballants...
Il voulait que le ruisseau soit une rivière un fleuve et
que cette flaque d'eau soit la mer...
Lorsque l'enfant était enfant, il ne savait pas qu'il était enfant.
Pour lui tout avait une âme,
Et toutes les âmes n'en faisaient qu'une.
Lorsque l'enfant était enfant, il n'avait d'opinion sur rien, il n'avait pas d'habitudes...
Souvent il s'asseyait en tailleur, partait en courant...
Il avait une mèche rebelle
Et ne faisait pas de mines quand on le photographiait...
Lorsque l'enfant était enfant
Vint le temps des questions comme celle ci:
Pourquoi est-ce que je suis moi?
Et pourquoi est-ce que je ne suis pas toi?
Pourquoi est-ce que je suis ici?
Et pourquoi est-ce que je ne suis pas ailleurs?
Quand a commencé le temps?
Et où finit l'espace?
La vie sur le soleil n'est-elle rien d'autre qu'un rêve?
Ce que je vois, ce que j'entends
Ce que je sens
N'est-ce pas simplement l'apparence d'un monde devant le monde?
Est-ce que le mal existe véritablement?
Est-ce qu'il y a des gens qui sont vraiment mauvais?
Comment se fait-il que moi qui suis-moi,
Avant que je devienne, je n'étais pas
Et qu'un jour moi qui suis moi
Je ne serais plus ce moi que je suis...

Peter Handke.


Dans le film de Wim Wenders (Les Ailes du Désir)


http://www.youtube.com/watch?v=q2EdLFG6SW4&feature=related
Le texte original :


Als das Kind Kind war,
ging es mit hängenden Armen,
wollte der Bach sei ein Fluß,
der Fluß sei ein Strom,
und diese Pfütze das Meer.
Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle Seelen waren eins.
Als das Kind Kind war,
hatte es von nichts eine Meinung,
hatte keine Gewohnheit,
saß oft im Schneidersitz,
lief aus dem Stand,
hatte einen Wirbel im Haar
und machte kein Gesicht beim fotografieren.
Als das Kind Kind war,
war es die Zeit der folgenden Fragen :
Warum bin ich ich und warum nicht du ?
Warum bin ich hier und warum nicht dort ?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum ?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum ?
Ist was ich sehe und höre und rieche
nicht bloß der Schein einer Welt vor der Welt ?
Gibt es tatsächlich das Böse und Leute,
die wirklich die Bösen sind ?
Wie kann es sein, daß ich, der ich bin,
bevor ich wurde, nicht war,
und daß einmal ich, der ich bin,
nicht mehr der ich bin, sein werde ?