lundi 20 février 2012

POÉSIES II


Le génie garantit les facultés du cœur.

L’homme n’est pas moins immortel que l’âme.

Les grandes pensées viennent de la raison !

La fraternité n’est pas un mythe.

Les enfants qui naissent ne connaissent rien de la vie, pas même la grandeur.

Dans le malheur, les amis augmentent.

Vous qui entrez, laissez tout désespoir.

Bonté, ton nom est homme.

C’est ici que demeure la sagesse des nations.

Chaque fois que j’ai lu Shakspeare, il m’a semblé que je déchiquète la cervelle 
d’un jaguar.

J'écrirai mes pensées avec ordre, par un dessein sans confusion. Si elles sont 
justes, la première venue sera la conséquence des autres. C'est le véritable 
ordre. Il marque mon objet par le désordre calligraphique. Je ferais trop de 
déshonneur à mon sujet, si je ne le traitais pas avec ordre. Je veux montrer 
qu'il en est capable.

Je n’accepte pas le mal. L’homme est parfait. L’âme ne tombe pas. Le progrès 
existe. Le bien est irréductible. Les antéchrists, les anges accusateurs, les 
peines éternelles, les religions sont le produit du doute.

...

Je me figure Elohim plutôt froid que sentimental.

L’amour d’une femme est incompatible avec l’amour de l’humanité. L’imperfection 
doit être rejetée. Rien n’est plus imparfait que l’égoïsme à deux. Pendant la 
vie, les défiances, les récriminations, les serments écrits dans la poudre 
pullulent. 
...

L’erreur est la légende douloureuse.

Les hymnes à Elohim habituent la vanité à ne pas s’occuper des choses de la 
terre. Tel est l’écueil des hymnes. Ils déshabituent l’humanité à compter sur 
l’écrivain. Elle le délaisse. Elle l’appelle mystique, aigle, parjure à sa 
mission. Vous n’êtes pas la colombe cherchée.

Un pion pourrait se faire un bagage littéraire, en disant le contraire de ce 
qu’ont dit les poètes de ce siècle. Il remplacerait leurs affirmations par des 
négations. Réciproquement. S’il est ridicule d’attaquer les premiers principes, 
il est plus ridicule de les défendre contre ces mêmes attaques. Je ne les 
défendrai pas.

Le sommeil est une récompense pour les uns, un supplice pour les autres. Pour 
tous, il est une sanction.

Si la morale de Cléopâtre eût été moins courte, la face de la terre aurait 
changé. Son nez n'en serait pas devenu plus long.

Les actions cachées sont les plus estimables. Lorsque j'en vois tant dans 
l'histoire, elle me plaisent beaucoup. Elles n'ont pas été tout à fait cachées. 
Elles ont été sues. Ce peu, par où elles ont paru, en augmente le mérite. C'est 
le plus beau de n'avoir pas pu les cacher.

Le charme de la mort n’existe que pour les courageux.

L'homme est si grand, que sa grandeur paraît surtout en ce qu'il ne veut pas se 
connaître misérable. Un arbre ne se connaît pas grand. C'est être grand que de 
se connaître grand. C'est être grand que de ne pas vouloir se connaître 
misérable. Sa grandeur réfute ces misères. Grandeur d'un roi.

Lorsque j'écris ma pensée, elle ne m'échappe pas. Cette action me fait souvenir 
de ma force que j'oublie à toute heure. Je m'instruis à proportion de ma pensée 
enchaînée. Je ne tends qu'à connaître la contradiction de mon esprit avec le 
néant.

Le cœur de l’homme est un livre que j’ai appris à estimer.

Non imparfait, non déchu, l’homme n’est plus le grand mystère.

Je ne permets à personne, pas même à Elohim, de douter de ma sincérité.

Nous sommes libres de faire le bien.

Le jugement est infaillible.

Nous ne sommes pas libres de faire le mal.

L'homme est le vainqueur des chimères, la nouveauté de demain, la régularité 
dont gémit le chaos, le sujet de la conciliation. Il juge de toutes choses. Il 
n'est pas imbécile. Il n'est pas ver de terre. C'est le dépositaire du vrai, 
l'amas de certitude, la gloire, non le rebut de l'univers. S'il s'abaisse, je le 
vante. S'il se vante, je le vante davantage. Je le concilie. Il parvient à 
comprendre qu'il est la sœur de l'ange.

Il n’y a rien d’incompréhensible.

La pensée n’est pas moins claire que le cristal. Une religion, dont les 
mensonges s’appuient sur elle, peut la troubler quelques minutes, pour parler de 
ces effets qui durent longtemps. Pour parler de ces effets qui durent peu de 
temps, un assassinat de huit personnes aux portes d’une capitale, la troublera - 
c’est certain - jusqu’à la destruction du mal. La pensée ne tarde pas à 
reprendre sa limpidité.

La poésie doit avoir pour but la vérité pratique. Elle énonce les rapports qui 
existent entre les premiers principes et les vérités secondaires de la vie. 
Chaque chose reste à sa place. La mission de la poésie est difficile. Elle ne se 
mêle pas aux événements de la politique, à la manière dont on gouverne un 
peuple, ne fait pas allusion aux périodes historiques, aux coups d’État, aux 
régicides, aux intrigues des cours. Elle ne parle pas des luttes que l’homme 
engage, par exception, avec lui-même, avec ses passions. Elle découvre les lois 
qui font vivre la politique théorique, la paix universelle, les réfutations de 
Machiavel, les cornets dont se composent les ouvrages de Proudhon, la 
psychologie de l’humanité. Un poète doit être plus utile qu’aucun citoyen de sa 
tribu. Son œuvre est le code des diplomates, des législateurs, des instructeurs 
de la jeunesse. Nous sommes loin des Homère, des Virgile, des Klopstock, des 
Camoëns, des imaginations émancipées, des fabricateurs d’odes, des marchands 
d’épigrammes contre la divinité. Revenons à Confucius, au Boudha, à Socrate, à 
Jésus-Christ, moralistes qui couraient les villages en souffrant de faim ! Il 
faut compter désormais avec la raison, qui n’opère que sur les facultés qui 
président à la catégorie des phénomènes de la bonté pure.

...


Le principe des cultes est l’orgueil. Il est ridicule d’adresser la parole à 
Elohim, comme ont fait les Job, les Jérémie, les David, les Salomon, les 
Turquéty. La prière est un acte faux. La meilleure manière de lui plaire est 
indirecte, plus conforme à notre force. Elle consiste à rendre notre race 
heureuse. Il n’y a pas deux manières de plaire à Elohim. L’idée du bien est une. 
Ce qui est le bien en moins l’étant en plus, je permets que l’on me cite 
l’exemple de la maternité. Pour plaire à sa mère, un fils ne lui criera pas 
qu’elle est sage, radieuse, qu’il se conduira de façon à mériter la plupart de 
ses éloges. Il fait autrement. Au lieu de le dire lui-même, il le fait penser 
par ses actes, se dépouille de cette tristesse qui gonfle les chiens de Terre-
Neuve. Il ne faut pas confondre la bonté d’Elohim avec la trivialité. Chacun est 
vraisemblable. La familiarité engendre le mépris ; la vénération engendre le 
contraire. Le travail détruit l’abus des sentiments.

Nul raisonneur ne croit contre sa raison.

La foi est une vertu naturelle par laquelle nous acceptons les vérités qu’Elohim 
nous révèle par la conscience.

Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être né. Un esprit impartial la 
trouve complète.

Le bien est la victoire sur le mal, la négation du mal. Si l’on chante le bien, 
le mal est éliminé par cet acte congru. Je ne chante pas ce qu’il ne faut pas 
faire. Je chante ce qu’il faut faire. Le premier ne contient pas le second. Le 
second contient le premier.

La jeunesse écoute les conseils de l’âge mûr. Elle a une confiance illimitée en 
elle-même.

Je ne connais pas d’obstacle qui passe les forces de l’esprit humain, sauf la 
vérité.

La maxime n'a pas besoin d'elle pour se prouver. Un raisonnement demande un 
raisonnement. La maxime est une loi qui renferme un ensemble de raisonnements. 
Un raisonnement se complète à mesure qu’il s’approche de la maxime. Devenu 
maxime, sa perfection rejette les preuves de la métamorphose. 

Le doute est un hommage rendu à l’espoir. Ce n’est pas un hommage volontaire. 
L’espoir ne consentirait pas à n’être qu’un hommage.

Le mal s’insurge contre le bien. Il ne peut pas faire moins.

C'est une preuve d'amitié de ne pas s'apercevoir de l'augmentation de celle de 
nos amis.

L’amour n’est pas le bonheur.

Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à nous 
corriger, à louer dans les autres ce qui nous manque.

Les hommes qui ont pris la résolution de détester leurs semblables ignorent 
qu’il faut commencer par se détester soi-même.

Les hommes qui ne se battent pas en duel croient que les hommes qui se battent 
au duel à mort sont courageux.

Comme les turpitudes du roman s’accroupissent aux étalages ! Pour un homme qui 
se perd, comme un autre pour une pièce de cent sous, il semble parfois qu’on 
tuerait un livre.

Lamartine a cru que la chute d'un ange deviendrait l’Elévation d’un Homme. Il a 
eu tort de le croire.

Pour faire servir le mal à la cause du bien, je dirai que l’intention du premier 
est mauvaise.

Une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de Dickens, de Gustave 
Aymard, de Victor Hugo, de Landelle. Avec les derniers, un enfant, survivant à 
l’univers, ne pourrait pas reconstruire l’âme humaine. Avec la première, il le 
pourrait. Je suppose qu’il ne découvrît pas tôt ou tard la définition du 
sophisme.

Les mots qui expriment le mal sont destinés à prendre une signification d’utilité. Les idées s’améliorent. Le sens des mots y participe.

Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase 
d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par 
l’idée juste.

Une maxime, pour être bien faite, ne demande pas à être corrigée. Elle demande à 
être développée.

...
Nous perdons la vie avec joie, pourvu qu'on n'en parle point.

Les passions diminuent avec l’âge. L’amour, qu’il ne faut pas classer parmi les 
passions, diminue de même. Ce qu’il perd d’un côté, il le regagne de l’autre. Il 
n’est plus sévère pour l’objet de ses vœux, se rendant justice à lui-même : 
l’expansion est acceptée. Les sens n’ont plus leur aiguillon pour exciter les 
sexes de la chair. L’amour de l’humanité commence. Dans ces jours où l’homme 
sent qu’il devient un autel que parent ses vertus, fait le compte de chaque 
douleur qui se releva, l’âme, dans un repli du cœur où tout semble prendre 
naissance, sent quelque chose qui ne palpite plus. J’ai nommé le souvenir.

L’écrivain, sans séparer l’une de l’autre, peut indiquer la loi qui régit 
chacune de ses poésies.

...

Le phénomène passe. Je cherche les lois.

Il y a des hommes qui ne sont pas des types. Les types ne sont pas des hommes. 
Il ne faut pas se laisser dominer par l’accidentel.

Les jugements sur la poésie ont plus de valeur que la poésie. Ils sont la 
philosophie de la poésie. La philosophie, ainsi comprise, englobe la poésie. La 
poésie ne pourra pas se passer de la philosophie. La philosophie pourra se 
passer de la poésie.

...
Mettez une plume d’oie dans la main d’un moraliste qui soit écrivain de premier 
ordre. Il sera supérieur aux poètes.

L'amour de la justice n'est, en la plupart des hommes, que le courage de 
souffrir l'injustice.

Cache-toi, guerre.

...

Elohim est fait à l’image de l’homme. 

Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs choses fausses sont 
incontredites. La contradiction est la marque de la fausseté. L'incontradiction 
est la marque de la certitude.

Une philosophie pour les sciences existe. Il n’en existe pas pour la poésie. Je 
ne connais pas de moraliste qui soit poète de premier ordre. C’est étrange, dira 
quelqu’un.

C'est une chose horrible de sentir s'écouler ce qu'on possède. L'on ne s'y 
attache même qu'avec l'envie de chercher s'il n'a point quelque chose de 
permanent.

L'homme est un sujet vide d'erreurs. Tout lui montre la vérité. Rien ne l'abuse. 
Les deux principes de la vérité, raison, sens, outre qu'ils ne manquent pas de 
sincérité, s'éclaircissent l'un l'autre. Les sens éclaircissent la raison par 
des apparences vraies. Ce même service qu'ils lui font, ils la reçoivent d'elle. 
Chacun prend sa revanche. Les phénomènes de l'âme pacifient les sens, leur font 
des impressions que je ne garantis pas fâcheuses. Ils ne mentent pas. Ils ne se 
trompent pas à l'envi.

La poésie doit être faite par tous. Non par un. Pauvre Hugo ! Pauvre Racine ! 
Pauvre Coppée ! Pauvre Corneille ! Pauvre Boileau ! Pauvre Scarron ! Tics, tics, 
et tics.

Les sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est l'ignorance où 
se trouvent les hommes en naissant. La deuxième est celle qu'atteignent les 
grandes âmes. Elles ont parcouru ce que les hommes peuvent savoir, trouvent 
qu'ils savent tout, se rencontrent dans cette même ignorance d'où ils étaient 
partis. C'est une ignorance savante, qui se connaît. Ceux d'entre eux qui, étant 
sortis de la première ignorance, n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque 
teinture de cette science suffisante, font les entendus. Ceux-là ne troublent 
pas le monde, ne jugent pas plus mal de tout que les autres. Le peuple, les 
habiles composent le train d'une nation. Les autres, qui la respectent, n'en 
sont pas moins respectés.

Pour savoir les choses, il ne faut pas en savoir le détail. Comme il est fini, 
nos connaissances sont solides.

L’amour ne se confond pas avec la poésie.

La femme est à mes pieds !

...


Comte de Lautréamont - poésies

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