vendredi 30 mars 2012

Voyage du silence


Voyage du silence
De mes mains à tes yeux
Et dans tes cheveux
Où des filles d’osier
S’adossent au soleil
Remuent les lèvres
Et laissent l’ombre à quatre feuilles
Gagner leur cœur chaud de sommeil.
Paul Éluard

jeudi 29 mars 2012

L'Énamourée

Ils se disent, ma colombe,
Que tu rêves, morte encore,
Sous la pierre d'une tombe:
Mais pour l'âme qui t'adore
Tu t'éveilles ranimée,
Ô pensive bien-aimée!

Par les blanches nuits d'étoiles,
Dans la brise qui murmure,
Je caresse tes longs voiles,
Ta mouvante chevelure,
Et tes ailes demi-closes
Qui voltigent sur les roses.

Ô délices! je respire
Tes divines tresses blondes;
Ta voix pure, cette lyre,
Suit la vague sur les ondes,
Et, suave, les effleure,
Comme un cygne qui se pleure!

Théodore Faullin de Banville


mercredi 28 mars 2012

Haiku


Dans la vieille mare,
une grenouille saute,
le bruit de l'eau.

Bashō

mardi 27 mars 2012

Musicien


Voici que s’embrase ton masque
Musicien aux veines cireuses
Allume les bobèches creuses
Avec tes notes en fusion.

La foudre partage les ventres
Des vaisseaux nouveaux que tu lances
Construis-nous un petit enfer
Avec tes firmaments en antres.

Les astres que tu dilapides
Les métaux précieux que tu crées
Composent le temple rapide
De nos sentiments familiers.

Mais voici la plus belle église
Qui ouvre ses canaux profonds
Belle église cent fois décrite
Où n’habitent que des démons.

Antonin Artaud – 1923

lundi 26 mars 2012

L’être raisonnable le plus misérable

ll m’est facile d’aimer
car j’ai décidé
de vous croire,
instants de silence.
Maintenant je n’ai plus
besoin d’ailes.
Dans ma poitrine chantent
tous les oiseaux.

Mais quand il n’y a pas
d’oiseau en moi
ni d’oiseau au ciel
qui lui sourit,
mes ténèbres restent
cloués au plafond
et nulle part il n’y a
une main pour dénouer

de mon coeur
le noeud invisible.
Je me tourmente en silence
et je ne veux pas me dire
que je suis l’être raisonnable
le plus misérable
capable d’aimer seulement
quand il est piétiné.

Vesna Parun

jeudi 22 mars 2012

Le visage nuptial (1944)

À présent disparais, mon escorte, debout dans la distance;
La douceur du nombre vient de se détruire.
Congé à vous, mes alliés, mes violents, mes indices.
Tout vous entraîne, tristesse obséquieuse.
J'aime.


L'eau est lourde à un jour de la source.
La parcelle vermeille franchit ses lentes branches à ton front,
dimension rassurée.
Et moi semblable à toi,
Avec la paille en fleur au bord du ciel criant ton nom,
J'abats les vestiges,
Atteint, sain de clarté.


Tu rends fraîche la servitude qui se dévore le dos;
Risée de la nuit, arrête ce charroi lugubre
De voix vitreuses, de départs lapidés.


Tôt soustrait au flux des lésions inventives
(La pioche de l'aigle lance haut le sang évasé)
Sur un destin présent j'ai mené mes franchises
Vers l'azur multivalve, la granitique dissidence.


Ô voûte d'effusion sur la couronne de son ventre,
Murmure de dot noire!
Ô mouvement tari de sa diction!
Nativité, guidez les insoumis, qu'ils découvrent leur base,
L'amande croyable au lendemain neuf.
Le soir a fermé sa plaie de corsaire où voyageaient les fusées
vagues parmi la peur soutenue des chiens.
Au passé les micas du deuil sur ton visage.


Vitre inextinguible: mon souffle affleurait déjà l'amitié
de ta blessure,
Armait ta royauté inapparente.
Et des lèvres du brouillard descendit notre plaisir
au seuil de dune, au toit d'acier.
La conscience augmentait l'appareil frémissant deta permanence;
La simplicité fidèle s'étendit partout.


Timbre de la devise matinale, morte saison
de l'étoile précoce,
Je cours au terme de mon cintre, colisée fossoyé.
Assez baisé le crin nubile des céréales:
La cardeuse, l'opiniâtre, nos confins la soumettent.
Assez maudit le havre des simulacres nuptiaux:
Je touche le fond d'un retour compact.
Ruisseaux, neume des morts anfractueux,
Vous qui suivez le ciel aride,
Mêlez votre acheminement aux orages de qui sut guérir
de la désertion,
Donnant contre vos études salubres.
Au sein du toit le pain suffoque à porter coeur et lueur.
Prends, ma Pensée, la fleur de ma main pénétrable,
Sens s'éveiller l'obscure plantation.


Je ne verrai pas tes flancs, ces essaims de faim, se dessécher,
s'emplir de ronces;
Je ne verrai pas l'empuse te succéder dans ta serre;
Je ne verrai pas l'approche des baladins inquiéter
le jour renaissant;
Je ne verrai pas la race de notre liberté servilement se suffire.


Chimères, nous sommes montés au plateau.
Le silex frissonnait sous les sarments de l'espace;
La parole, lasse de défoncer, buvait au débarcadère angélique.
Nulle farouche survivance:
L'horizon des routes jusqu'à l'afflux de rosée,
L'intime dénouement de l'irréparable.


Voici le sable mort, voici le corps sauvé:
La Femme respire, l'Homme se tient debout.


René Char

mercredi 21 mars 2012

Après un rêve

Dans un sommeil que charmait ton image
Je rêvais le bonheur, ardent mirage;
Tes yeux étaient plus doux, ta voix pure et sonore
Tu rayonnais comme un ciel éclairé par l'aurore;
Tu m'appelais, et je quittais la terre
Pour m'enfuir avec toi vers la lumière;
Les cieux pour nous entr'ouvraient leurs nues;
Splendeurs inconnues, lueurs divines entrevues...
Hélas, hélas, triste réveil des songes !
Je t'apelle, ô nuit, rends-moi tes mensonges;
Reviens, reviens radieuse
Reviens, ô nuit mystérieuse

Romain Bussine

mercredi 14 mars 2012

Le secret

Je veux que le matin l'ignore
Le nom que j'ai dit à la nuit,
Et qu'au vent de l'aube, sans bruit,
Comme une larme il s'évapore.

Je veux que le jour le proclame
L'amour qu'au matin j'ai caché,
Et sur mon cœur ouvert penché
Comme un grain d'encens il l'enflamme.

Je veux que le couchant l'oublie
Le secret que j'ai dit au jour,
Et l'emporte avec mon amour,
Aux plis de sa robe pâlie!

Armand Silvestre, 1837-1901
Mis en musique par Fauré, ici: http://www.youtube.com/watch?v=ErqxkWZc8JE

lundi 12 mars 2012

Saveur d’homme


Donnez-moi de quoi changer les pierres,
De quoi me faire des yeux
Avec autre chose que ma chair
Et des os avec la couleur de l’air ;
Et changez l’air dont j’étouffe
En un soupir qui le respire
Et me porte ma valise
De porte en porte ;
Qu’à ce soupir je pense : sourire
Derrière une autre porte.
Détestable saveur d’homme.
En vérité, une main ne tremble
Que pour vieillir sa mémoire ;
L’autre ne vieillit que d’avoir
Trop bougé de vie depuis le temps
Où le monde l’a basculée
Dans l’histoire du temps et du moment,
Qui, sans jamais se ressembler,
Se retrouve à chaque instant
Dans le sac noirci de son éternité

Jean-Pierre Duprey (1930-1959)
J’entends le bruit que je fais en rentrant dans mon corps 

Découvert ici

vendredi 9 mars 2012

Poème secret



Voilà de quoi est fait le chant symphonique de l'amour 
qui bruit dans la conque de Vénus
Il y a le chant de l'amour de jadis
Le bruit des baisers éperdus des amants illustres
Les cris d'amour des mortelles violées par les dieux
Les virilités des héros fabuleux érigées 
comme des cierges vont et viennent comme une rumeur obscène
Il y a aussi les cris de folie des bacchantes folles d'amour 
pour avoir mangé l'hippomane sécrété par la vulve des juments en chaleur
Les cris d'amour des félins dans les jongles
La rumeur sourde des sèves montant dans les plantes tropicales
Le fracas des marées
Le tonnerre des artilleries 
où la forme obscène des canons accomplit le terrible amour des peuples
Les vagues de la mer où naît la vie et la beauté
Et le chant victorieux 
que les premiers rayons de soleil faisaient chanter à Memnon l'immobile
Il y a le cri des Sabines au moment de l'enlèvement
Le chant nuptial de la Sulamite
Je suis belle mais noire
Et le hurlement précieux de Jason
Quand il trouva la toison
Et le mortel chant du cygne 
quand son duvet se pressait entre les cuisses bleuâtres de Léda
Il y a le chant de tout l'amour du monde
Il y a entre tes cuisses adorées Madeleine
La rumeur de tout l'amour 
comme le chant sacré de la mer bruit tout entier dans le coquillage

G. Apollinaire 

mercredi 7 mars 2012

Nevermore II


Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins à neuf tous les arcs triomphaux;
Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux;
Sème de fleurs les bords béants du précipice;
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice.

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni;
Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides;
Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides;
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.

Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!
Car mon rêve impossible a pris corps et je l'ai
Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé
Voyageur qui de l'Homme évite les approches,
— Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez,cloches!

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi;
Mais la FATALITÉ ne connaît point de trève :
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l'amour : telle est la loi.
— Le Bonheur a marché côte à côte avec moi. 





Paul Verlaine in "Poème Saturniens"

lundi 5 mars 2012

Demain


Âgé de cent-mille ans, j'aurais encore la force
De t'attendre, o demain pressenti par l'espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir: neuf est le matin, neuf est le soir.

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent.

Robert Desnos (État de veille, 1942)

vendredi 2 mars 2012

Poème



Dire un mot exclut tous les autres,
ouvrir un livre ferme tous les autres,
penser une seule chose déséquilibre le monde,
aimer quelqu’un est le plus grand oubli.

L’exercice ponctuel d’une seule vie
n’aura jamais de sens.

Reste à découvrir le pluriel.

*

Decir una palabra excluye a todas las otras,
abrir un libro cierra todos los demás,
pensar una sola cosa desequilibra el mundo,
amar a alguien es el mayor olvido.

El ejercicio puntual de una sola vida
no podrá tener sentido nunca.

Queda sólo encontrar el plural.

***

Roberto Juarroz (1925-1995) – Huitième Poésie Verticale (Octava poesía vertical, 1984)

jeudi 1 mars 2012

PAR UNE NUIT NOUVELLE



Femme avec laquelle j’ai vécu
Femme avec laquelle je vis
Femme avec laquelle je vivrai
Toujours la même
Il te faut un manteau rouge
Des gants rouges un masque rouge
Et des bas noirs
Des raisons des preuves
De te voir toute nue
Nudité pure ô parure parée

Seins ô mon coeur

- Paul Eluard